lundi, mai 6
Virginie Colemyn, le 13 avril 2024, à Paris.

Virginie Colemyn s’assied en face de vous, dans un grand café du centre de Paris, et d’emblée s’installe un sentiment de douce étrangeté. Sur elle, vous ne trouverez ni fiche Wikipédia ni notice biographique. Pas de traces non plus sur les réseaux sociaux. Pour un peu, la comédienne de 52 ans passerait sous les radars. Et pourtant, depuis vingt ans, les critiques de théâtre rivalisent de superlatifs – dans ces colonnes et ailleurs – pour saluer son talent : « subjuguante », « bluffante », « irradiante », « hors normes », « formule 1 », « douée d’une infinie palette de jeu »… N’en jetez plus.

A chacune de ses apparitions – trop rares –, Virginie Colemyn imprime quelque chose de fort et d’inédit. C’est le cas dans Jours de joie, d’Arne Lygre, un spectacle de Stéphane Braunschweig aujourd’hui repris aux Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon, à Paris, que l’on peut aller voir pour elle. Pour voir ce qu’est un rire gorgé de larmes : l’incarnation d’une joie qui se cherche et résiste au milieu de l’impuissance éprouvée face à un monde qui semble chaque jour courir un peu plus vers l’abîme.

De ce drôle de parcours dans le théâtre français, qui jusque-là ne lui a pas fait la place qu’elle mérite, malgré de beaux compagnonnages avec Ariane Mnouchkine, Gwenaël Morin ou le plasticien Christian Boltanski (1944-2021), elle parle avec des mots concrets et poétiques, entourés de silence. Elle ne prononcera pas le terme de « transfuge de classe », trop sociologique pour elle. Mais elle s’interroge sur une forme d’endogamie du théâtre français, elle qui est née dans les quartiers nord et gitans de Bordeaux, et dans une « grande famille du monde ouvrier ».

« En perpétuel décalage »

Sa mère tenait un salon de coiffure, et ce fut son premier théâtre. « Elle coiffait des entraîneuses et des bourgeoises. C’est l’endroit où j’ai beaucoup écouté et regardé la vie, un univers de femmes que j’ai retrouvées ensuite dans le cinéma de Chantal Akerman que j’aime tant », raconte-t-elle. Comme beaucoup d’autres à qui l’art n’a pas été offert en héritage, elle a découvert le théâtre grâce à une professeure de français. Et dès le jour de cette « épiphanie » vécue à 12 ans, elle s’est consacrée à l’art dramatique, corps et âme.

Le chemin ne fut pas simple. « Je n’avais pas les codes, j’étais en perpétuel décalage », constate-t-elle. Elle intègre néanmoins la classe libre du Cours Florent, où le célèbre pédagogue la surnomme sa « petite Meryl Streep ». « Je n’ai jamais compris s’il faisait allusion à sa capacité de convoquer l’émotion ou à sa faculté de transformation », s’interroge Virginie Colemyn. Elle, ce qu’elle veut, c’est entrer au Théâtre du Soleil : « J’avais vu Les Atrides mis en scène par Mnouchkine, qui avait provoqué chez moi une forme de sidération. L’impression d’une splendeur totale, d’acteurs comme des dieux volant sur le plateau… Une odyssée dans laquelle je rêvais de m’inscrire. »

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