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« La Passion selon saint Jean », de Jean-Sébastien Bach, avec le Chœur Saint-Thomas et l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, sous la direction musicale d’Andreas Reize (de dos), à l’église Saint-Thomas de Leipzig (Allemagne), le 7 avril 2023.

ARTE – VENDREDI 29 MARS À 23 H 55 – CONCERT

Imaginons, par le truchement d’un tour de science-fiction à la Doctor Who, que Jean-Sébastien Bach (1685-1750) se soit trouvé dans l’église qui fut la sienne pendant les vingt-sept dernières années de sa vie en tant que cantor (le maître de chapelle) de Saint-Thomas de Leipzig, le jour où cette Passion selon saint Jean fut enregistrée par Arte, qui la diffuse trois cents ans après sa création, le vendredi saint de l’année 1724 (mais dans une autre église de la ville, la Saint-Nicolas).

Il ne reconnaîtrait pas sa Thomaskirche, plutôt épargnée par les bombardements de la seconde guerre mondiale, mais refaite de manière à en restituer les premières structures, masquées par des éléments baroques aujourd’hui disparus ; il ne retrouverait pas les orgues de son temps, remplacées par des instruments des XIXe et XXIe siècles, et il se demanderait sûrement pourquoi l’organiste joue sur un petit modèle portatif qu’on a monté à la tribune plutôt que sur l’instrument à tuyaux sur lequel, à son époque, s’exécutait l’accompagnement (parfois également au clavecin).

Théâtralité opératique

Il serait sûrement étonné que les violoncelles de l’orchestre aient des piques (en son temps, on tenait l’instrument calé entre les mollets), les violons et les altos des mentonnières. Il est également probable que le cantor ne serait pas très heureux de la qualité des voix muées (ténors et basses) du chœur, des adolescents à la technique encore imparfaite. Mais cela, il l’avait déjà connu en son temps, avec les garnements, pubères ou non, de la Thomasschule – une école fondée en 1212 –, qu’il qualifiait volontiers d’« incapables ».

Toutefois, Bach serait probablement heureux de réentendre la toute première version de sa première Passion, la Saint Jean, qu’il remit quatre fois sur le métier jusqu’en 1749, un an avant sa mort, notamment en raison d’une ville et d’un clergé conservateurs que gênaient, outre l’interprétation que faisait Bach des textes bibliques, la théâtralité opératique des récitatifs et des chœurs d’action de cette véhémente Passion (quatre ans avant son arrivée à Saint-Thomas, on donnait encore, aux vêpres du vendredi saint, une Passion en chant grégorien).

Cette version de 1724 diffère sensiblement de celle qu’on entend aujourd’hui le plus souvent au concert et au disque (la mouture suivante, datée de 1725, substitue au fameux chœur d’entrée un choral, qui servira plus tard à la Passion selon saint Matthieu) : en dépit de changements dans la ligne du récit de l’évangéliste – le narrateur de la Passion – et dans les airs, l’essentiel de la structure voulue par Bach est en place.

A la tribune, les Thomaner sont accompagnés par l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, fondé en 1743, dont Felix Mendelssohn fut l’un des directeurs musicaux, qui redonna vie aux deux Passions de Bach : la « Grande Passion », comme on disait de la Saint Matthieu, en 1829, et la Saint Jean, en 1833. L’orchestre pratique un jeu en simili baroque assez convaincant, encouragé par Riccardo Chailly, son directeur musical de 2005 à 2016, qui avait dirigé les deux Passions en concert et enregistré la Saint Matthieu pour Decca, en 2010.

Brochette de solistes inégale

Ce concert anniversaire de la création de la Saint Jean est dirigé par le successeur actuel de Bach, Andreas Reize (48 ans), qui est, depuis le 11 septembre 2021, le dix-huitième cantor de Saint-Thomas. Il a deux particularités : il est suisse et d’obédience catholique (il lui aura cependant fallu se convertir au luthéranisme). Bon musicien, historiquement informé, Reize pratique des tempos plutôt rapides (ce que faisait lui-même Bach, selon certains témoignages).

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On regrette cependant les trop nombreuses affectations dont sa direction affuble certains chœurs, avec des effets de loupe et d’accélération pas toujours bienvenus. Le continuo est assez bavard et l’organiste joue même de courts interludes. Il est d’ailleurs dommage qu’une reconstitution historique de la liturgie n’ait pas été choisie, avec le fameux sermon qui séparait les deux parties de la Passion et d’autres interventions musicales.

La brochette de solistes est inégale : la soprano Anna Prohaska chante bas, le contre-ténor Andreas Scholl n’a plus la voix de sa jeunesse, le ténor Raphael Wittmer peine dans deux airs, il est vrai, très difficiles. Tomas Kral incarne un Christ simple et droit, tandis que le baryton Tobias Berndt s’inscrit dans la double tradition d’un Dietrich Fischer-Dieskau et d’un Max van Egmond, chanteur néerlandais associé aux enregistrements des cantates et Passions de Bach par Gustav Leonhardt et Nikolaus Harnoncourt.

Mais le plus exceptionnel parmi eux tous est Julian Prégardien, bouleversant évangéliste à la souple et impeccable vocalité, doublée d’une diction parfaite, qui parvient à être déchirant tout en restant pudique au long du récit de la Passion du Christ.

La Passion selon saint Jean (version de 1724), de Jean-Sébastien Bach, captation réalisée par Ute Feudel. Avec Anna Prohaska, Andreas Scholl, Julian Prégardien, Raphael Wittmer, Tomas Kral, Tobias Berndt, l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, le Chœur de garçons de l’église Saint-Thomas, dirigés par Andreas Reize (All., 2023, 114 min). Sur Arte.tv jusqu’au 26 juin.

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