lundi, mai 6
Quatre des sept jeunes acteurs de « L’Ile », de Damien Manivel.

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

C’est l’été, et c’est la dernière soirée de Rosa (Rosa Berder) en Bretagne. Demain, elle s’envolera pour Montréal, où elle entrera dans une école de danse. Avant de partir, elle retrouve ses copains sur la plage pour une fête mémorable. Avec le récit minimal de L’Ile, Damien Manivel invente une forme qui nous aimante, en construisant cette fiction exclusivement à partir des scènes de répétitions, mêlant la fiction à la partie documentaire du tournage.

Venu de la danse contemporaine, le cinéaste travaille les fragments, ces moments minuscules et intenses où le mouvement se dessine devant la caméra. Il est l’auteur de « solos » minimalistes, entre autres Les Enfants d’Isadora (2019) – Léopard de la meilleure réalisation à Locarno –, où, tour à tour, quatre danseuses revisitent une gestuelle d’Isadora Duncan (1877-1927), et l’envoûtant Magdala (2022), avec la chorégraphe Elsa Wolliaston.

Au départ, Damien Manivel voulait filmer L’Ile, son sixième long-métrage, en un seul plan-séquence, comme un ruban de corps s’enroulant et se réchauffant avant la séparation. Le réalisateur a commencé les répétitions, tout en les filmant, avec sept jeunes acteurs, en juillet 2022, dans un gymnase, mais aussi sur le sable, entre les rochers où se nouent les adieux et les promesses de retrouvailles. Le tournage devait avoir lieu à la fin d’août, mais il n’a pu se faire, par manque d’argent.

C’est en revoyant les rushes, un peu plus tard, que le producteur de L’Ile, Martin Bertier, a convaincu Damien Manivel qu’il y avait la possibilité d’un film. Le cinéaste a pris ses ciseaux pour tailler un récit fragmenté, enivrant, la voix off de Rosa guidant le spectateur dans les méandres de cette soirée arrosée.

Vertige des tâtonnements

On entre dans un récit à plusieurs dimensions, où le cinéaste fait entendre les consignes qu’il murmure aux acteurs. A quel moment, et de quelle manière, les corps de Rosa et de son amoureux, Damoh (Damoh Ikheteah), vont-ils se rapprocher et se frôler au milieu du groupe ? Plutôt que de choisir une prise parmi plusieurs, Damien Manivel en retient parfois deux, quasi identiques sans l’être tout à fait vraiment. C’est dans cette brèche toute fine que se niche le trésor de L’Ile : une inflexion de voix qui colore l’atmosphère, un bras qui enlace différemment…

La répétition d’une scène semble arrêter le temps. Damien Manivel retient la nuit, jusqu’à l’aube, conviant le spectateur dans les coulisses pour lui faire éprouver le vertige des tâtonnements. Parmi les scènes de fumette et d’alcool, on retient un plan fulgurant, celui où Rosa tire sur une cigarette invisible, les acteurs ne fumant pas pour de vrai pendant les répétitions. A ce moment-là, on ne voit plus qu’un geste, une chorégraphie, la main effectuant un trajet, doigts légèrement écartés s’approchant du visage, puis s’en éloignant lentement.

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