dimanche, mai 19
Bernard Pivot pose sur le plateau d’« Apostrophes » sur Antenne 2, le 15 octobre 1982, à Paris.

Passes d’armes à fleuret moucheté, coups de gueule, coups de poing, jeu de séduction, émotions vives… Direct aidant, nombreux sont les moments qui ont contribué à façonner la légende de la grand-messe littéraire du vendredi soir, « Apostrophes ». Le plus célèbre d’entre eux restant incontestablement, en 1978, celui qui vit Charles Bukowski, ivre, quitter titubant le plateau, épaulé par son éditeur, au grand soulagement de l’animateur et des invités. Après avoir perturbé l’entretien de Cavanna – irrité, celui-ci lâchera un retentissant « Bukowski, ta gueule, tu nous enquiquines » –, il glissera sa main sur la cuisse de l’autrice Catherine Paysan.

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Sans chercher la polémique, comme il s’en défendait, Bernard Pivot prenait souvent un plaisir à réunir des auteurs qui ne s’appréciaient guère, voire se situaient aux antipodes sur l’échiquier politique. Ce qui offrit quelques passes d’armes mémorables. On pense à Jean d’Ormesson traitant Roger Peyrefitte de « dame pipi qui se prend pour Saint-Simon » ; à Serge Gainsbourg confronté au « blaireau » Guy Béart qui refusait d’admettre que « la chanson est un art mineur » ; à Morgan Sportès éreintant le roman de Marc-Edouard Nabe Au régal des vermines (Barrault, 1985), « insensé de conneries ». Avant qu’au sortir de l’émission, Georges-Marc Benamou, ulcéré par les provocations de Nabe, ne vienne le frapper.

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Plus qu’un éreintement, la critique virulente de Simon Leys à l’encontre de l’essai sur la Chine de Maria-Antonietta Macciocchi – « une escroquerie » – lui portera un coup fatal. Quelques jours après les attaques du sinologue, faute de vente, l’éditeur cessait sa diffusion.

Tête-à-tête réussis

Parmi toutes les émissions, il en est une tout particulièrement dont Bernard Pivot s’avouera le moins fier. Il s’agit de celle où il invita Jane Fonda, en 1985. Tombé littéralement en pâmoison devant l’actrice américaine, l’animateur en oublia pratiquement d’interroger les autres invités. Plus tard, il confessera avoir frôlé ce soir-là la faute professionnelle. Au rayon des parades de séduction, on se souvient également de l’échange entre Claude Hagège et Raymond Devos qualifié par le linguiste de « prince de l’absurde ». Et surtout, sur le thème de l’amour, du délicieux échange entre Roland Barthes et Françoise Sagan, sous le regard d’Anne Golon, l’autrice de la série littéraire Angélique, Marquise des anges.

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Hors des éclats de voix ou des règlements de comptes, les plus grands moments d’« Apostrophes » demeurent sans aucun doute les tête-à-tête que réalisa le journaliste. On pense notamment à celui avec Marguerite Duras, où l’animateur dut apprivoiser les silences de la romancière ; à ceux avec Claude Levi-Strauss ou Vladimir Jankélévitch, parmi ceux qui l’intimidèrent. Aux « coups » journalistiques réalisés avec Soljenitsyne en 1974 puis en 1975 aux Etats-Unis, dont l’ambassade de Russie demanda l’annulation au patron d’Antenne 2. Ou encore au face-à-face avec le rarissime Vladimir Nabokov, qui y mit deux conditions : connaître par avance les questions et avoir à disposition une théière remplie de… whisky.

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