dimanche, mai 5
Kiwa (Fujiko Yamamoto) dans « Rivière de nuit » (1956), de Kozaburo Yoshimura.

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

Il existe une passion française pour le cinéma japonais dont témoigne chaque semaine le circuit des reprises et rééditions d’une abondance exceptionnelle. Cette semaine, la sortie de l’inédit Rivière de nuit (1956), en copie flambant neuve, attire l’attention sur le nom de Kozaburo Yoshimura (1911-2000), cinéaste peu identifié en France, mais dont la carrière longue de soixante ans a traversé le siècle, depuis le muet jusqu’à la modernité des années 1960-1970. L’homme est réputé pour ses nombreux portraits de femme, veine passionnante, dont la production nippone d’après-guerre fut féconde, en ce qu’elle fait du féminin l’avant-poste des mutations économiques et sociales. Le travail avec les actrices fut donc le domaine d’orfèvrerie de Yoshimura, qui fit tourner les plus illustres d’entre elles, dont Setsuko Hara, Machiko Kyo, Ayako Wakao ou Fujiko Yamamoto.

C’est cette dernière, Miss Japon 1950, alors sous contrat avec le studio Daiei, qui interprète avec une élégance toute classique l’héroïne moderne de Rivière de nuit, le film s’inscrivant dans une série d’œuvres que Yamamoto consacre alors aux travailleuses de Kyoto. Le titre, énigmatique, semble désigner un écoulement obscur, un cours secret, et résonne avec la vie de Kiwa, qui sillonne à contre-courant. En effet, la travailleuse est artiste en son domaine et s’y consacre corps et âme, confectionnant de splendides tissus de kimonos, quitte à rester célibataire au seuil critique de la trentaine.

La situation fait le désespoir de son père, dans l’atelier duquel elle travaille, et qu’elle surpasse en virtuosité, quand sa sœur cadette, déjà rangée, est mariée et installée à Tokyo. Plusieurs hommes papillonnent autour d’elle, mais c’est au cou d’un autre, le professeur Takemura (Ken Uehara), qu’elle surprend un jour l’une de ses créations : une cravate florale qui devient motif de cristallisation amoureuse. Kiwa entame alors une liaison discrète, de rendez-vous dérobés en escapades périphériques, à Tokyo ou ailleurs, avec cet homme marié dont l’épouse est à l’agonie.

Pure plasticité émotionnelle

Kozaburo Yoshimura ne prend pas à la légère la vocation artistique de son héroïne ni n’en fait un argument décoratif. Cette vocation trouve, au contraire, dans chaque surface du film, chaque pan de réalité, une occasion de se refléter. Par exemple, lorsque Kiwa s’entête à reproduire sur trame le gris caractéristique du mont Hiei observé au petit matin, dans l’embrasure de la fenêtre. Ou encore puisant l’inspiration à la vue des drosophiles rouges qu’étudie le professeur, généticien à l’université d’Osaka, pour en faire le motif d’un kimono éblouissant.

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