samedi, mai 18

A la tête de sa compagnie Louis Brouillard, Joël Pommerat, 61 ans, incarne l’une des aventures théâtrales les plus brillantes de ces vingt dernières années. Il met en scène avec succès son propre répertoire, Les Marchands, Cendrillon, Ça ira (1) Fin de Louis, Contes et légendes, qui tournent en France ou à l’étranger. Jusqu’au 14 juillet, au Théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris, il redonne vie, plus de dix ans après sa création, à La Réunification des deux Corées, mosaïque de fragments explorant la complexité de l’amour.

Je ne serais pas arrivé là si…

… Si je n’avais pas perdu mon père à 15 ans. Avec lui à mes côtés, je n’aurais pas pu prendre la voie du théâtre parce qu’il me destinait à autre chose. Mon père était très particulier, pas forcément un « bon parent » comme on l’entend généralement. Sans parler d’emprise, j’étais très influencé par sa conception de la vie. Nous avions une grande complicité, mais ce qu’il voulait pour moi, je ne me voyais pas ne pas le faire.

Que voulait-il pour vous ?

Que je sois enseignant. Orphelin, abandonné à la naissance par sa mère, mon père a été à l’assistance publique. Il s’est engagé très jeune dans l’armée et y a passé dix-huit ans. Puis il est devenu fonctionnaire au Trésor public. Un métier qui l’a complètement déprimé. S’il avait pu avoir une vie moins chaotique, choisir sa voie, il aurait enseigné. Pour lui, c’était la plus belle chose qui soit. Il le voulait pour moi. Il pensait, par transfert, pouvoir vivre ce que lui aurait aimé faire.

Il est tombé malade au moment où je commençais à avoir des doutes, à me dire que ce n’était pas mon choix. Il est mort d’une leucémie en quelques mois. Cette perte m’a procuré beaucoup de chagrin et en même temps m’a libéré. A l’adolescence, il est difficile d’accepter ce paradoxe-là. Cela entraîne une culpabilité que je continue à ressentir. Quand je rêve de mon père, ce sont des rêves de culpabilité : il revient et je suis mal.

Il vous imaginait enseignant, mais vous, quel rapport entreteniez-vous avec l’école ?

J’étais en 2de quand il est mort. J’avais un an d’avance. Bon élève en primaire, on m’avait fait sauter une classe. Le collège m’avait démotivé et au lycée je décrochais. Mais si mon père était resté en vie, je serais allé au bout de mes études. Quelques mois après son décès, j’ai arrêté d’aller en cours.

Aviez-vous l’accord de votre mère ?

Elle ne m’a pas culpabilisé, elle m’a responsabilisé et m’a fait confiance. Je lui ai dit : « Je m’ennuie, je ne serai pas enseignant, donc ça ne sert à rien que je continue, je préfère arrêter plutôt que de perdre du temps. » Elle m’a répondu : « Si tu es sûr de toi, alors d’accord. » Avec le recul, je trouve son attitude incroyable face à un môme de 17 ans. Ma mère a commis un acte libérateur.

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