dimanche, mai 5
Sur le plateau de la chaîne israélienne 13, à Neve Ilan (Israël), le 4 avril 2024.

Jérôme Bourdon, historien et sociologue des médias, vit en Israël depuis 1997. Il analyse pour Le Monde la manière dont les télévisions et les journaux israéliens couvrent l’offensive en cours à Gaza, et l’impact de leur travail sur la société.

Après six mois de conflit, que les Israéliens voient-ils de la guerre à Gaza dans les médias ?

La petite minorité de gens qui, en Israël, pense qu’il faut un cessez-le-feu ou que l’armée commet des atrocités délibérées à Gaza lit le quotidien Haaretz ou des sites d’information indépendants comme Hamakom Hachi Ham Begehenom [« Le lieu le plus chaud de l’enfer »] ou +972 Magazine [en anglais], s’informe dans la presse internationale ou grâce aux sites des associations israéliennes de défense des droits humains. Ceux qui veulent savoir ce qui se passe à Gaza peuvent aussi se fier aux témoignages des humanitaires de tous bords qui disent tous n’avoir jamais vu un tel désastre. Mais ces personnalités ne sont pas interviewées dans les médias mainstream. Les journalistes israéliens, comme le reste de la presse mondiale, sont interdits d’accès à Gaza [en dehors de reportages de quelques heures, « embedded », c’est-à-dire sous le contrôle de l’armée].

La grande majorité de la population juive israélienne ne voit pas ou ne veut pas voir la souffrance des Gazaouis. A l’extrême droite, au fond, on s’en félicite, et certains groupes essaient d’empêcher les camions d’aide humanitaire d’entrer dans la bande de Gaza. Même des gens qui se disent de gauche, favorables à la paix, admettent qu’ils n’éprouvent que peu ou pas d’empathie. La population reste bloquée sur ce qui s’est passé le 7 octobre 2023, où un cap dans l’horreur a été franchi. L’écho de la Shoah est puissant. Les Israéliens demeurent persuadés que le pays est parti en guerre car « on n’avait pas le choix ». Ils savent que cette souffrance existe, mais, au fond, la responsabilité palestinienne est toujours mise en avant. C’est une vieille affaire, bien exprimée dans une citation célèbre de Golda Meir [première ministre de 1969 à 1974] : « Nous ne pouvons pas pardonner aux Palestiniens de nous forcer à tuer leurs enfants », très reprise aujourd’hui.

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La responsabilité israélienne n’est pas mise en question, sauf par une très petite minorité de journalistes, de militants et d’intellectuels. Les médias montrent donc au public ce qu’il veut voir, et ce public ne comprend pas que cette douleur, pour eux si présente, appartient déjà au passé pour les médias étrangers, et que, de surcroît, elle n’est pas commensurable avec le désastre qui frappe les Palestiniens du fait de l’offensive militaire israélienne. Les médias israéliens en anglais participent aux efforts de la hasbara, la « propagande-explication », à l’égard de l’étranger, mais cela ne convainc que les déjà convaincus.

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