samedi, avril 27

Lieu par excellence du vivre-ensemble et de la socialisation, l’école publique se doit à la fois d’être ouverte sur le monde et préservée de ses tensions. Que ce difficile équilibre soit rompu, et la société tout entière court le risque de paralysie, d’étouffement, voire de violence, faute d’avoir su défendre l’irremplaçable trésor que constitue le principe d’une éducation partagée, mais aussi l’institution et le personnel qui la rendent possible. C’est pourquoi le départ du proviseur du lycée Maurice-Ravel de Paris (20e), consécutive à des menaces de mort, est un événement grave et préoccupant. Le chef d’établissement a « quitté ses fonctions pour des raisons de sécurité », indique un message de l’administration du lycée.

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L’altercation à l’origine de ce départ est liée à l’application de la loi de 2004 qui prohibe le « port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » dans les établissements scolaires publics. Le 28 février, le proviseur avait rappelé à trois élèves l’obligation de retirer leur voile islamique. L’une d’elles, majeure, étudiante en BTS, avait ignoré la remarque. L’élève a affirmé avoir été « tapée violemment au bras ». La plainte qu’elle avait déposée contre le proviseur a été classée sans suite par le parquet de Paris pour « infraction insuffisamment caractérisée ».

Irresponsabilité

Mais l’incident a enflammé les réseaux sociaux, où des menaces de mort ont été proférées à l’encontre du proviseur. Celui-ci a fait l’objet de mesures de protection, mais les menaces ont continué, y compris à travers des vidéos le prenant pour cible. Le départ de ce dernier, annoncée mardi, a été présentée par le rectorat de Paris comme résultant de « convenances personnelles » et a suscité une vive émotion dans le monde enseignant.

Que le proviseur soit à quelques mois de la retraite n’y change rien : son départ précipité constitue un revers pour l’institution scolaire, mais surtout un nouvel avertissement face à l’utilisation d’Internet pour transformer, de l’extérieur, le moindre incident scolaire en prétexte à polémique, en moyen de déstabilisation, voire en arme mortelle. Un homme de 26 ans originaire des Hauts-de-Seine doit être jugé le 26 avril au tribunal correctionnel de Paris pour avoir menacé de mort le proviseur du lycée Ravel sur les réseaux sociaux.

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Depuis l’assassinat du professeur Samuel Paty, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), le 16 octobre 2020, inspiré par des vidéos mensongères diffusées sur les réseaux sociaux, personne ne peut ignorer qu’une manipulation en ligne est susceptible d’armer la main d’un tueur islamiste. La façon dont certains élus ont, dans le cas du lycée Ravel, relayé sans vérification la version de l’étudiante prétendant avoir été « tapée » donne la mesure de leur irresponsabilité. Largement respectée, approuvée par 85 % des Français et par 92 % des enseignants, la loi interdisant les signes religieux à l’école publique est un vecteur de paix scolaire et de respect des croyances comme de l’incroyance.

Alors que les multiples soubresauts du monde risquent de déstabiliser l’institution scolaire, alors que près de 130 lycées et collèges ont été visés depuis une semaine par des menaces d’attentat et des actes de malveillance par le piratage des « espaces numériques de travail » où parents, élèves et professeurs communiquent, tout doit être fait pour protéger l’école, son personnel et ses usagers. Le pire serait de céder aux peurs, aux messages de division ou de provocation, et à la tentation de fermer les yeux.

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Le Monde

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