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Manifestation de l’intersyndicale FSU, CGT, SUD, CNT et FO de Seine-Saint-Denis pour dénoncer la politique éducative et exiger des fonds supplémentaires pour les écoles publiques, à Paris, le 7 mars 2024.

La mobilisation dure depuis fin février. A l’appel d’une intersyndicale réunissant la FSU, la CGT-Educ’action, SUD-Education, et la Fédération des travailleurs de l’éducation, plusieurs journées de grève et de manifestation se succèdent en Seine-Saint-Denis. Le mot d’ordre est double : l’abandon de la politique du « choc des savoirs », voulue par le gouvernement, et l’obtention d’un « plan d’urgence » de 358 millions d’euros pour le département.

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Cette mobilisation a été amplifiée par l’initiative de douze maires du département qui ont pris, le 2 avril, un arrêté commun pour presser l’Etat d’agir contre le manque d’enseignants et de moyens, et donc de répondre aux demandes intersyndicales.

Le « 93 » apparaît de fait comme l’agrégateur de difficultés existant ailleurs dans l’Hexagone : phénomène de ségrégation scolaire, crise du recrutement et du remplacement des enseignants, mais aussi des médecins scolaires, ou encore bâti dégradé. Plusieurs rapports récents documentent de manière chiffrée les difficultés particulières que rencontre l’école dans le département le plus jeune de France métropolitaine, et également parmi les plus pauvres. Des écoles et des collèges qui sont, en majorité, classés en REP/REP + au titre des politiques publiques de l’éducation prioritaire déployées depuis les années 1980, politiques qui doivent se traduire par des investissements supplémentaires.

Un rapport parlementaire des députés Christine Decodts (Renaissance, Nord) et Stéphane Peu (Parti communiste français, Seine-Saint-Denis), publié en novembre 2023, conclut que l’école « peine à tenir la promesse républicaine » dans le département et ce en dépit du plan « L’Etat plus fort en Seine-Saint-Denis » annoncé en 2019.

Des familles aux conditions socio-économiques fragiles

Juste devant l’Aisne, les Ardennes et la Haute-Marne, les collèges publics du « 93 » ont l’indice de position sociale (IPS) le plus faible de France métropolitaine, ce qui signifie que les élèves y ont l’environnement familial considéré comme le moins favorable à la réussite scolaire du pays.

Cet indicateur, élaboré depuis 2016 par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éducation nationale, est de plus en plus utilisé pour analyser la situation sociale des collèges et des lycées, et contribue ainsi au débat sur la mixité scolaire. L’IPS repose sur l’attribution à chaque catégorie socioprofessionnelle d’un indice calculé à partir de plusieurs facteurs (comme le niveau de diplôme ou les conditions matérielles d’existence d’une famille) ayant une incidence sur la réussite scolaire des enfants.

Un phénomène de ségrégation scolaire

La situation des collèges publics séquano-dionysiens est aggravée par la « fuite » des ménages les plus aisés du département vers l’enseignement privé. « L’évitement scolaire s’avère modéré en volume, mais très marqué socialement », rappelle le département, précisant que plus de 30 % des élèves scolarisés dans le privé sont des enfants issus d’une famille dont les parents appartiennent aux CSP +. Au total, 13 500 collégiens domiciliés dans le département, soit 13 % des élèves, sont scolarisés dans le privé ; 11 500 sont inscrits dans le privé sous contrat du territoire et 2 070 dans le privé parisien. Dans ses études, la DEPP relève que l’indice de position sociale des collèges privés sous contrat de Seine-Saint-Denis est similaire à celui des établissements privés du reste de la France.

Le département illustre ainsi à l’échelle d’un territoire restreint le phénomène de ségrégation scolaire qui traverse le pays, autrement dit « l’inégale répartition des élèves entre établissements scolaires en fonction de leurs caractéristiques individuelles, par exemple leur milieu social », comme le résume l’économiste Youssef Souidi, postdoctorant à l’université Paris Dauphine-PSL, auteur de Vers la sécession scolaire ? Mécaniques de la ségrégation au collège (Fayard, 232 pages, 14,99 euros). « Dans le “93”, la mixité résidentielle ne s’accompagne pas nécessairement d’une mixité dans les établissements : des élèves voisins, mais aux caractéristiques sociales différentes, ont une forte probabilité de ne pas fréquenter le même collège », souligne le chercheur.

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Un corps enseignant jeune et changeant

La Seine-Saint-Denis tend à être une affectation de passage pour les fonctionnaires, qui sont nombreux à y débuter sans la connaître. A la rentrée 2022, 34 % des enseignants en collège et lycée avaient moins de deux ans d’ancienneté dans leur établissement, selon le rectorat de l’académie de Créteil. Si ce chiffre est en baisse constante depuis 2018, il reste supérieur de 5 points à la moyenne nationale.

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Les problématiques économiques et sociales des élèves auxquelles les enseignants sont confrontés alors qu’ils manquent d’expérience et le déficit d’image du département créeraient les conditions de leur départ rapide mais également d’une difficulté à recruter, notamment dans le premier degré, alors même que les besoins en nouveaux professeurs y sont importants.

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« On y manque d’enseignants pour les mêmes raisons qu’ailleurs en France, à savoir un décrochage salarial qui dévalorise la profession. S’y ajoute la tendance des candidats à l’enseignement – tant dans le premier que dans le second degré – à privilégier leur région d’origine, ce qui dessert le “93” », analyse Stéphane Bonnéry, professeur des universités en sciences de l’éducation à l’université Paris VIII-Saint-Denis.

Le résultat est le recours accentué à des contractuels. Ils étaient 952 dans le premier degré à la rentrée 2023, soit 8 % des effectifs, contre 808 en 2022, et 577 en 2021. Dans le second degré, ce taux monte à 13 % des effectifs enseignants.

Des enseignants absents non remplacés

La Seine-Saint-Denis se distingue encore par un pourcentage élevé d’enseignants non remplacés quand ils s’absentent en raison de congés maladie, maternité ou de formation. Au point d’engendrer une perte de temps scolaire.

Dès 2018, le rapport parlementaire des députés François Cornut-Gentille (Haute-Marne, Les Républicains) et Rodrigue Kokouendo (Seine-et-Marne, La République en marche) sur l’évaluation de l’action de l’Etat en Seine-Saint-Denis reprend les estimations de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE 93) sur cette perte, qui s’élèverait en moyenne à une année sur l’ensemble de la scolarité des enfants de Seine-Saint-Denis. Et de conclure : « La profusion de moyens des établissements REP et REP + perd de son sens si, au final, les enfants de ces établissements en zones difficiles, qui en ont le plus besoin, bénéficient de moins de cours que les autres. »

La situation critique de la médecine scolaire

S’ajoute à cela la situation alarmante de la médecine scolaire. « En Seine-Saint-Denis, seuls dix-sept postes de médecin scolaire sur cinquante sont pourvus », relève le rapport des députés Christine Decodts et Stéphane Peu.

Selon le décompte de l’intersyndicale Education, il manque un infirmier ou un médecin scolaire dans 48 % des écoles, 40 % des collèges et 35 % des lycées du département, soit quelque 128 postes non pourvus, auxquels s’ajoutent 72 postes manquants d’assistants sociaux. « Ce corps professionnel est progressivement démantelé depuis les années 1990, avec des non-remplacements de départs en retraite et des conditions de travail peu avantageuses », pointe le chercheur Stéphane Bonnéry.

Le rapport de juillet 2023 dressant un bilan de l’éducation prioritaire souligne que la visite médicale obligatoire à 6 ans devant être réalisée par le médecin de l’éducation nationale (afin de dépister des troubles spécifiques de langage et de l’apprentissage) ne concernait, en 2022, que 21 % des élèves de REP et 21,5 % des élèves de REP +.

Un bâti dégradé

Dégâts des eaux, présence de nuisibles, locaux sous-chauffés, toilettes délabrées… L’intersyndicale Education dresse la liste d’une série de défaillances qui touchent les établissements des premier et second degrés. Elle demande un investissement public supplémentaire en soutien aux communes (chargées des écoles), au département (collèges) et à la région (lycées). Les collectivités se disent déterminées à rénover, mais souffrent d’un manque de moyens, par comparaison avec d’autres départements n’ayant pas connu la même croissance démographique. Le département estime par exemple avoir besoin d’une enveloppe étatique de 240 millions d’euros pour l’aider à agir dans les six prochaines années.

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« Les collèges du “93” sont frappés par une sorte de double peine, résume l’économiste Youssef Souidi. Le département ayant fait face à l’explosion démographique au cours des quinze dernières années, il a fallu bâtir beaucoup, mais avec la conséquence de laisser peu de ressources disponibles pour d’autres dépenses éducatives, alors même que les difficultés sociales sont plus importantes que dans d’autres départements. »

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