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Romy Andrianarisoa et Philippe Tabuteau.

Le procès de Romy Andrianarisoa n’aura finalement pas pris de tournure politique. Mardi 20 février, un jury de la cour de Southwark, à Londres, a reconnu l’ancienne directrice de cabinet du président malgache, Andry Rajoelina, coupable d’avoir demandé des pots-de-vin à la société minière britannique Gemfields en échange de facilités pour obtenir des licences et une autorisation d’exploitation sur la Grande Ile. Mais jamais, pendant les deux semaines qu’a duré le procès, la responsabilité du dirigeant fraîchement réélu de Madagascar n’a été évoquée.

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Romy Andrianarisoa s’en est tenue, pour sa défense, à nier l’évidence et à essayer de charger son associé, le Français Philippe Tabuteau. Cela n’a visiblement pas convaincu les douze jurés, qui ont conclu à l’unanimité, en quelques heures de délibéré, qu’elle était coupable avec son coaccusé d’avoir réclamé 250 000 francs suisses (environ 260 000 euros) en deux versements, 10 000 dollars (9 260 euros) chacun immédiatement et 5 % de participation dans les mines, d’une valeur d’environ 4,7 millions d’euros.

L’acte d’accusation était simple. Gemfields voulait ouvrir des mines de rubis et d’émeraudes dans le sud de Madagascar. Ses premiers contacts avec Romy Andrianarisoa ont eu lieu en 2021. A l’époque, celle-ci travaillait à son compte après avoir passé une décennie dans le secteur des hydrocarbures (Madagascar Oil, BP). A ce titre, elle œuvrait comme conseillère informelle du président, notamment pour réformer le code minier. Elle affiche alors un CV impeccable : en 2017, elle avait réalisé un MBA à l’université de Nottingham, se spécialisant sur les questions de responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises dans les industries extractives à Madagascar.

« Charles », agent infiltré

En mars 2023, quelques jours après être devenue directrice de cabinet du président, la Franco-Malgache, aujourd’hui âgée de 47 ans, relance les contacts avec Gemfields. Rapidement, elle demande à son ami Philippe Tabuteau, un Français vivant à Antananarivo et qu’elle connaît depuis plus de vingt ans, de s’occuper du dossier.

Comprenant que les deux négociateurs demandent des versements illégaux, Gemfields alerte l’agence britannique contre le crime organisé, la National Crime Agency (NCA). A partir d’avril 2023, un agent infiltré, « Charles », se faisant passer pour un consultant de la compagnie minière, poursuit les discussions, enregistrant toutes les conversations. Cela mène à l’arrestation spectaculaire dans le palace du Sofitel London St James, le 10 août 2023, de Philippe Tabuteau et Romy Andrianarisoa, alors qu’ils finalisent la négociation des dessous-de-table.

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Pris en flagrant délit, le Français a plaidé coupable. Mais à la surprise générale, la directrice de cabinet a choisi de nier. Pendant le procès, les éléments à charge contre elle étaient pourtant lourds. Dans des enregistrements, on l’entend clairement dire : « Je veux que les revenus reviennent à mon pays, mais je dois gagner ma vie aussi. » Elle a aussi négocié pied à pied un premier paiement initial suggéré par « Charles » comme preuve de bonne volonté. « 5 000 dollars », propose-t-il. « 10 000 », répond-elle du tac au tac. « Il faut qu’on trouve vite un accord avant que vous passiez à 15 000 », s’amuse l’agent infiltré.

La directrice de cabinet reviendra sur cette somme dans un second temps, s’excusant de « ne pas avoir été claire », pour expliquer qu’elle demandait 10 000 dollars « par personne ». « Bien sûr, mon nom n’apparaîtra jamais, comme vous pouvez vous en douter », ajoute-t-elle lors d’une autre conversation. Et quand « Charles » suggère que la somme de 250 000 francs suisses soit versée en pierres précieuses, elle laisse Philippe Tabuteau se montrer très ouvert : « On accepte des francs suisses, des pierres précieuses, de l’or… »

Jusqu’à dix ans de prison

Malgré l’enregistrement des rencontres, des conversations téléphoniques et des nombreux messages et courriels, Romy Andrianarisoa a tenté de plaider le malentendu. Certes, elle reconnaît avoir été « maladroite » dans ses propos et comprend que ceux-ci puissent être mal interprétés. Mais, assure-t-elle, son anglais – langue dans laquelle se sont faites les négociations – n’est pas parfait et il peut lui arriver de mal s’exprimer. Ainsi, quand le patron de Gemfields lui présente « Charles » comme étant un « firewall » (« pare-feu »), elle assure qu’elle ne connaissait pas ce mot et ne comprenait pas de quoi il s’agissait.

Quand elle parlait d’honoraires ou de paiement, prétend-elle, il s’agissait toujours dans son esprit de dépenses que l’entreprise devait faire sur le terrain, en préparation du projet ; absolument pas de versements directement sur son compte. « Quand je suis venue à Londres [le 10 août 2023], c’était pour négocier les investissements sociaux que Gemfileds devait faire. » Enfin, et surtout, elle met tout sur le dos de Philippe Tabuteau, qui n’était pas présent au procès, ayant plaidé coupable – un fait que le juge avait interdit de révéler afin de ne pas influencer le jury.

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Au passage, Romy Andrianarisoa raconte un élément troublant du fonctionnement des tractations. Son gouvernement n’ayant pas les moyens de rémunérer Philippe Tabuteau comme consultant, dit-elle, la conseillère s’attendait à ce que Gemfields recrute son ami et le paie d’une manière ou d’une autre. Dans son esprit, a-t-elle tenté de faire valoir, les négociations ne concernaient que les honoraires du Français, jamais les siens.

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Le président Andry Rajoelina a-t-il joué un rôle dans cette affaire ? Un des enregistrements des conversations le met à bonne distance. Pendant l’une des tractations, « Charles », essayant visiblement d’obtenir plus d’informations, demande à la directrice de cabinet si le chef de l’Etat est au courant des honoraires en négociations. « Non », répond alors sans ambiguïté Romy Andrianarisoa. Jamais elle n’est revenue sur cette question pendant le procès.

La peine sera prononcée pour Philippe Tabuteau et Romy Andrianarisoa en même temps, le 18 mars. Ils risquent tous les deux un maximum de dix ans de prison, mais le Français verra la lourdeur de sa peine réduite d’un tiers parce qu’il a plaidé coupable, facilitant ainsi le travail de la justice.

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