mardi, mai 7
Moran (Daniel Elias) et Norma (Margarita Molfino), dans « Los delincuentes », de Rodrigo Moreno.

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

L’efflorescence du nouveau cinéma argentin dans les années 2000 – feu d’artifice de talents aussi divers que Lucrecia Martel, Pablo Trapero, Adrian Caetano, Lisandro Alonso, Diego Lerman, Daniel Burman… – s’est un rien épuisée avec le temps. A l’instar d’Alonso, qu’on retrouve en très bonne forme avec Eureka, sorti en France le 28 février, on s’apprête à renouer avec l’un des éléments les plus discrets, mais non moins talentueux, de cette vague de désormais quinquagénaires en la personne de Rodrigo Moreno.

Auteur de quelques films inconnus de ce côté-ci de l’Atlantique, à l’exception d’El custodio qui nous avait tapé dans l’œil en 2006, il revient aujourd’hui avec une fresque de trois heures prolongeant la trivialité de ce film qui mettait en scène la vie morose d’un garde du corps d’un ministre de la planification en lequel s’agrègent, sous les yeux du prolo de la sécurité, les turpitudes du monde d’en haut.

Il s’agira ici, de nouveau, de deux modestes serviteurs d’un système qui leur en met quotidiennement plein la vue sans se priver de les soustraire à ses charmes. La nouveauté de Los delicuentes, toutefois, est l’aspiration sourde à une liberté – refus de la routine productiviste et de la rente existentielle, élan poétique vers les contrées édéniques, amour à vivre tout de suite ou jamais – que la construction même du récit, aventureuse et désaffectée, adopte en premier lieu. Soit deux employés de banque, Roman et Moran. Le tandem anagrammatique – pierre de touche d’une narration hantée par la duplication – est mis au service d’un film de casse qui se casse avant même que le forfait n’ait lieu.

On y découvre d’abord un costume anthracite pendu sur une chaise avec chemise blanche défraîchie et cravate d’un gris plus clair. La chose, vaguement ectoplasmique, semble tenir toute seule. Il ne reste plus qu’à mettre quelqu’un dedans, autre fantôme. C’est un barbu chauve à l’air las, sac à dos bordeaux sur le complet, dont on saura bientôt qu’il est le Moran du duo, et qui va pour l’instant se boire un petit noir au comptoir avec le bandonéon, instrument à l’essence éminemment mélancolique, qui l’accompagne sur une bande-son mixée à un saxophone ténor aux graves caressants. C’est déjà bien beau alors même que la caméra, lassée de filmer en sa résignation le petit employé du matin, s’autorise une diversion verticale sur des bâtiments très bourgeois et très respectables qui sentent leur vieille Europe.

Voyages dans le temps

Bienvenue donc à Buenos Aires, où l’on retrouve Moran, enfermé dans une pièce aveugle à rassembler des liasses de billets dans des sacs en plastique et à manœuvrer des portes blindées d’une épaisseur bancaire dont il ne détient, en compagnie d’un acolyte non moins guilleret, qu’une partie des codes d’ouverture. Ceci entraînant cela, au terme d’une journée morne à fumer sur le trottoir avec les collègues, l’absence inopinée d’un employé permet à Moran de descendre seul remettre la recette dans les coffres. L’occasion, c’est connu, créant le larron, il ressort avec 650 000 dollars sous le bras et contacte aussitôt l’absent, ledit Roman, pour lui proposer un marché dont rien n’aura laissé supposer qu’il avait eu la latitude de le mijoter.

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