dimanche, mai 19
Le réalisateur et écrivain Robert Bober (à droite) lors d’un tournage à Paris, en 1975.

FRANCE CULTURE – À LA DEMANDE – PODCAST

En 2003, Sylvie Gouttebaron réalisait déjà une émission « A voix nue » avec Robert Bober, alors âgé de 72 ans. Aujourd’hui, à 92 ans, celui qui fut tailleur, potier, cinéaste et écrivain se confie au micro de Caroline Broué, et c’est si beau de l’entendre à nouveau. A la question : « Est-ce que vous avez changé ? », il répond de sa douce voix : « Je ne crois pas. Le monde a malheureusement changé et, à voir ce que le monde devient, on est inquiet. »

Lire la critique du livre « Il y a quand même dans la rue des gens qui passent » (en 2023) : Article réservé à nos abonnés Pour Robert Bober, écrire, c’est vivre

Né le 17 novembre 1931 à Berlin, Robert Bober arrive à Paris, près de deux ans plus tard, quand ses parents fuient l’Allemagne après qu’Hitler a été nommé chancelier. Ce sera Belleville, puis la Butte-aux-Cailles, où son père, cordonnier, comme son père avant lui, ouvre une petite boutique. Dans ses films Réfugié provenant d’Allemagne, apatride d’origine polonaise (1976) et Vienne avant la nuit (2017), Robert Bober retrace ses origines familiales, notamment l’histoire de son arrière-grand-père maternel qui, fuyant la Pologne dans les années 1920 pour les Etats-Unis, fut refoulé en arrivant à Ellis Island, à New York, car il avait contracté le trachome, une maladie largement contagieuse.

Et il faut entendre la voix, si pleine d’amour, de Robert Bober quand il évoque cet aïeul : « Il était ferblantier, il faisait des bougeoirs, et j’ai écrit un texte où j’imagine une rencontre avec lui, et c’est certainement ce que j’ai écrit de mieux. Ce sont ces pages-là qu’il faudrait garder s’il fallait garder quelque chose. »

Lire la critique du livre « Par instants, la vie n’est pas sûre » (en 2020) : Article réservé à nos abonnés De rencontres en surprises, l’écrivain Robert Bober garde le meilleur

A la demande de Caroline Broué, Robert Bober revient ensuite sur la rafle du Vél’ d’Hiv à laquelle il échappe de peu, contrairement à son ami d’enfance, Henri Beck. Avec les souvenirs viennent les mots mais aussi les larmes, les respirations lourdement chargées et le silence que la journaliste laisse entendre.

Littérature, télévision et cinéma

A l’épisode 2, Robert Bober raconte comment, alors qu’il confie à son ami Georges Perec (1936-1982) qu’il a une idée de nouvelle, ce dernier lui dit : « Tu ne me la racontes pas, tu l’écris. » Comment, deux ans plus tard, en rangeant des papiers, il tombe dessus, la montre à Paul Otchakovsky-Laurens, qui, après l’avoir lue dans la nuit, lui dit à son tour : « Je veux la suite. » Car l’éditeur qui manque tant – il est mort dans un accident de voiture, le 2 janvier 2018 – avait deviné qu’en fait de nouvelle, c’était le début de Quoi de neuf sur la guerre ? (P.O.L, 1993), qui obtint le prix du livre Inter en 1994.

De ces rencontres fondatrices, dont celle avec François Truffaut (1932-1984), avec lequel Robert Bober travaillera, ce dernier dira : « Je ne crois pas au hasard », avant de citer l’écrivain israélien Aharon Appelfeld, mort dans la nuit du 3 au 4 janvier 2018 : « Quand on rencontre quelqu’un, c’est signe que l’on devait croiser son chemin, que l’on va recevoir de lui quelque chose qui nous manquait. »

A l’épisode suivant, il sera question de cinéma, notamment de Max Ophüls (1902-1957), son cinéaste préféré, ou encore de son premier film pour la télévision sur l’écrivain de langue yiddish Sholem Aleikhem (1859-1916). Robert Bober évoque ensuite l’« attelage amical » qu’il a formé, pendant des années, avec Pierre Dumayet (1923-2011), lequel, avec son émission « Lectures pour tous » (1953-1968), aura contribué à faire entrer la littérature à la télévision.

Des films taillés comme un vêtement

Il se souvient alors de l’émission avec Marguerite Duras qui commence par un silence de vingt secondes – autant dire, pour la télévision, une éternité. Bien au-delà de la nostalgie, on sent une admiration sincère, et le regret sans doute que, sur les deux films qu’il a consacrés au journaliste, l’un n’ait été diffusé qu’après la mort de Pierre Dumayet et l’autre n’ait même jamais été montré.

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A l’heure où l’autorisation de faire de la publicité pour les livres à la télévision, lancée à titre expérimental, le 6 avril, inquiète largement les éditeurs, et où la littérature et ses nuances manquent cruellement au monde – et ce, malgré le travail remarquable d’Augustin Trapenard et de « La Grande Librairie », sur France 5 –, il serait si judicieux de réparer aujourd’hui cette injustice.

Toute sa vie, Robert Bober aura taillé et assemblé ses films comme un vêtement ou un puzzle, retouché et donné une forme unique à ses textes. Et il aura beau dire, au dernier épisode, qu’il n’est pas un écrivain mais « un cinéaste qui écrit des livres », ses livres, semés comme des petits cailloux, sont si essentiels qu’ils sont désormais étudiés en classe, ce dont, avoue-t-il, il est si fier.

Robert Bober, la ronde et le puzzle, dans « A voix nue », une émission de Caroline Broué réalisée par Louise André (Fr., 2024, 5 x 30 min). Diffusée sur France Culture, du lundi 6 au vendredi 10 mai, à 20 heures. Disponible à la demande sur France Culture et sur toutes les plates-formes d’écoute habituelles.

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