lundi, mai 6
Gabriel (Paul Eyam Nzie Okpokam) dans « Bushman », de David Schickele.

Au cinéma, le bonheur tient parfois au fait de découvrir une œuvre inédite, sortie d’on ne sait où, dont l’intelligence et la fulgurance ravissent. Voir Bushman (1971), troublante fiction côtoyant le cinéma direct de l’Américain David Schickele (1937-1999), c’est voyager dans l’Amérique tumultueuse de la fin des années 1960, entre contestation de la guerre au Vietnam et lutte pour les droits civiques, à travers le regard d’un jeune Nigérian – le film restauré est distribué en salle par Malavida. Gabriel (Paul Eyam Nzie Okpokam) est venu enseigner la littérature sur le campus d’une université de San Francisco, après avoir fui son pays natal en pleine guerre civile.

Durant une heure et des poussières, dans sa forme libre à la John Cassavetes et son grain poudré de noir et blanc, Bushman dit ses quatre vérités à la grande puissance que sont les Etats-Unis. Lesquels s’affichent généreux et progressistes tout en permettant aux forces de l’ordre de mater les révoltes étudiantes, ou de fomenter de fausses accusations contre certains individus jugés indésirables – Paul, alias Gabriel, en fera les frais, comme on le verra plus tard. Egalement musicien, pacifiste, et auteur de Give Me a Riddle (1966), avec le même acteur, un film sur le Peace Corps (du nom de ce corps de soldats de la paix créé par John Kennedy en 1961), David Schickele a le don de s’appuyer sur les clichés (raciaux, sociaux…) pour produire les plans les plus inattendus.

On découvre le jeune Nigérian au bord d’une highway de la Côte ouest, avançant pieds nus, sa paire de baskets en équilibre sur le crâne, image puissante d’un monde qui marche sur la tête. Nous sommes en 1968 : « Martin Luther King, Robert Kennedy et Bobby Hunter [l’un des premiers membres des Black Panthers, qui fut tué par la police], sont décédés récemment », indique sobrement un carton. Gabriel fait du stop, un biker blanc s’arrête pour le prendre. Et pourtant ce geste hospitalier se teinte d’emblée d’une arrogance décomplexée, que l’on qualifierait aujourd’hui de racisme ordinaire, le conducteur s’empressant de demander à son passager si les Africaines qui déambulent seins nus dans sa brousse ne le rendent pas fou. Ou s’interrogeant sur ce que le professeur nigérian peut bien apprendre à un public américain…

Rattrapé par le réel

Gabriel ne se fait guère d’illusions et sait qu’un jour ou l’autre il quittera « ce pays » pour retrouver le sien, le film disséminant quelques flash-back sur le village nigérian. La seule personne qui pourrait le retenir est sa copine Alma (Elaine Featherstone), « un peu moins noire » mais aussi solaire et pessimiste que lui.

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