vendredi, mai 10
Gopal Dagnogo dans le studio photo de Julie Muzard à Maisons-Laffitte (Yvelines), en août 2023.

« Morose délectation », c’est le titre qu’a choisi Gopal Dagnogo pour sa nouvelle exposition au 110 Honoré, galerie parisienne dirigée par Véronique Rieffel. « C’est un concept religieux qui consiste à prendre du plaisir dans la tristesse, à se complaindre dans la mélancolie. Je trouve que cet oxymore résume assez justement les dissonances qui régissent nos sociétés, les contradictions qui gouvernent le monde schizophrénique dans lequel nous vivons », souligne l’artiste franco-ivoirien.

Et d’ajouter : « Un monde à la fois plus policé et plus violent, plus respectueux et moins tolérant, maladivement hygiéniste et cruellement toxique, farouchement libertaire et sournoisement liberticide. Un modèle civilisationnel déclinant, incapable d’introspection. »

« Symphonie de rose »

Les tableaux ne sont pas aussi sombres que ce constat pessimiste. La part d’ombre de l’humanité émerge peu à la surface des toiles, même si la construction des œuvres peut dérouter ceux qui les regardent en montrant une véritable liberté dans la composition faisant fi de la perspective chère à la Renaissance (du XIVe au XVIIsiècle). Véronique Rieffel a « adoré cette symphonie de rose, ce côté printanier, et je partage avec Gopal le goût pour les jeux de mots, au-delà des allusions culturelles et religieuses du titre de l’exposition ».

La galeriste a découvert le travail du plasticien à la foire d’art contemporain africain 1-54 qui se tenait à Marrakech, les 24 et 25 février 2018 à La Mamounia. Grâce à un ami commun, le sculpteur ivoirien Jems Koko Bi, elle le rencontre et est séduite par son univers singulier et son humour. En novembre 2019, encouragée par la directrice artistique de la foire AKAA, Armelle Dakouo, Véronique Rieffel le présente en solo show au Carreau du Temple, à Paris : « Un carton ! », se souvient-elle.

  • « Deux citrons sur torchon », de Gopal Dagnogo (acrylique et pastel sur toile, 73 cm x 54 cm, 2024). Patrick Lafont de Lojo

  • « Campbell’s Soup », de Gopal Dagnogo (acrylique et pastel sur toile, 180 cm x 180 cm, 2024). Patrick Lafont de Lojo

  • « All Stars », de Gopal Dagnogo (acrylique et pastel sur toile, 150 cm x 150 cm, 2024). Patrick Lafont de Lojo

  • « Paysage », de Gopal Dagnogo (acrylique et pastel sur toile, 150 cm x 150 cm, 2024). Patrick Lafont de Lojo

  • « Gordon’s Dry Gin », de Gopal Dagnogo (acrylique et pastel sur toile, 150 cm x 150 cm, 2024). Patrick Lafont de Lojo

  • « Dîner aux huîtres », de Gopal Dagnogo (acrylique et pastel sur toile, 150 cm x 150 cm, 2024). Patrick Lafont de Lojo

  • « Thermochimie », de Gopal Dagnogo (acrylique et pastel sur toile, 165 cm x 165 cm, 2024). Patrick Lafont de Lojo

  • « Kub or », de Gopal Dagnogo (acrylique et pastel sur toile, 165 cm x 165 cm, 2024). Patrick Lafont de Lojo

  • « Vache qui rit », de Gopal Dagnogo (acrylique et pastel sur toile, 180 cm x 180 cm, 2024).

    Patrick Lafont de Lojo

  • « Adidas », de Gopal Dagnogo (acrylique et pastel sur toile, 180 cm x 180 cm, 2024). Patrick Lafont de Lojo

  • « Heinz Beans », de Gopal Dagnogo (acrylique et pastel sur toile, 180 cm x 180 cm, 2024).

    Patrick Lafont de Lojo

  • « Tournesols », de Gopal Dagnogo (acrylique et pastel sur toile, 180 cm x 180 cm, 2024). Patrick Lafont de Lojo

  • « Ronde érotique n° 1 », de Gopal Dagnogo (technique mixte, dessin, peinture sur papier, 200 cm x 130 cm, 2024). Patrick Lafont de Lojo

  • « Etudes improbables pour plus tard n° 1 », de Gopal Dagnogo (techniques mixtes sur papier, 150 cm x 100 cm, 2024). Patrick Lafont de Lojo

  • « Etudes improbables pour plus tard n° 2 », de Gopal Dagnogo (techniques mixtes sur papier, 130 cm x 90 cm, 2024). Patrick Lafont de Lojo

Né en 1973 à Abidjan d’un père ivoirien et d’une mère française, professeure de beaux-arts et diplômée de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, Gopal Dagnogo est très tôt initié à l’esthétique, dans un univers où se mêlaient les odeurs de gouache et de térébenthine : « Je savais que je deviendrai peintre. Je rêvais de liberté, de musique et de peinture. » Grâce à deux de ses frères également diplômés en beaux-arts, il apprend techniquement, sans oublier son goût à compulser les livres d’histoire de l’art.

A 17 ans, il quitte la Côte d’Ivoire et arrive à Bordeaux, élève dans un lycée en classe Philosophie et Arts plastiques. L’un de ses professeurs n’est autre que Jacques Abeille, écrivain connu sous le pseudonyme non dissimulé de Léo Barthe, influencé par le mouvement des surréalistes auquel il participa dans les années 1960-1970.

« Ma rencontre frontale avec l’art conceptuel »

« Il m’a appris avec patience à déconstruire les présupposés, élargir le champ des possibles et éviter de tomber dans le piège des facilités dont je disposais pour le dessin et la couleur. Il m’a amené, par exemple, à considérer l’œuvre de Basquiat autrement que des gribouillis de zigoto mal drogué. Mais le vrai choc fut ma rencontre frontale avec l’art conceptuel au CAPC [Musée d’art contemporain de Bordeaux], à l’automne 1991. J’ai été brutalement confronté à des murs couverts de rayures de 8,7 cm [de large], façon bâches de stores. C’était Daniel Buren. Il m’a fallu du temps pour m’en remettre », se souvient le peintre.

En 1997, pour se former à d’autres techniques artistiques, il part au Burkina Faso, le pays des bronziers, pour apprendre la technique de la cire perdue (moulage de précision pour obtenir une sculpture en métal à partir d’un modèle en cire). Un séjour qui devait durer un mois, qui se transformera en résidence de trois années. « Pour être honnête, j’ai fait très peu de bronze, mais je n’exclus pas d’y revenir un jour », admet-il.

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Influencé par les grands maîtres de la Renaissance, Gopal Dagnogo l’est aussi par des personnalités plus excentriques qui se démarquent par l’audace, l’assurance du trait, la puissance des équilibres chromatiques : les post-impressionnistes Henri de Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh, les expressionnistes autrichiens Egon Schiele et Oskar Kokoschka.

Dans ses natures mortes – thème classique et intemporel de la peinture – présentées au 110 Honoré, poissons et poulets occupent une place de choix. Selon le plasticien, « La Ferme des animaux, de George Orwell, dépeint merveilleusement cette animalité humaine. J’ai parfois le sentiment que nous vivons au cœur de cette dystopie. Et si notre monde n’était qu’un poulailler géant ? Chacun est occupé à picorer sa ration. Et, pour les plus ambitieux, la préoccupation de convoiter la portion de grains du voisin, avec pour objectif final de l’asservir ».

« Je savoure le “piteux-miteux” »

Il s’agit pour lui de rendre hommage à la banalité du quotidien, de mettre en lumière, de redonner une valeur affective à des objets de prime abord sans intérêt, mais indispensables à notre confort ordinaire. Son point de départ est souvent une ou plusieurs couleurs, sans croquis ni dessins préparatoires.

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Lorsque Gopal Dagnogo est à court d’idées, « il y a toujours un moyen de “forcer” l’inspiration. Il suffit de salir la toile. Une tache en appelle une autre. Puis une autre encore. Le tableau se construit de lui-même. Mon rôle se limite ensuite à déposer au milieu du joyeux bric-à-brac quelques éléments récurrents de notre quotidien : bières, baskets, bouteilles, citrons, formules mathématiques biscornues… »

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En art comme en littérature, son penchant bascule du côté des œuvres écorchées. Il préfère Emile Ajar à Romain Gary, Ahmadou Kourouma à Gustave Flaubert. « J’aime bien quand ça percute, quand c’est cabossé, façon Bukowski, Cioran ou Adiaffi. Je savoure le “piteux-miteux”, quand on sait rire de la misère et pleurer de la beauté humaine », précise-t-il.

Si les œuvres plastiques de contemporains comme le Sud-Africain William Kentridge, le Chinois Chen Zhen ou la Japonaise Yayoi Kusama le frappent, il vient de découvrir celles du Sénégalais Fally Sene Sow et « en reste baba ».

Enfin, dès l’entrée du 110 Honoré, les visiteurs sont interpellés par un fauteuil recouvert de son imprimé rose et orange de volailles. Au premier étage, ils y trouveront, relate Véronique Rieffel, « une installation totalement improbable, réalisée in situ, et pour laquelle Gopal s’est immergé jour et nuit, un peu comme en résidence, qui propose toute une galerie de visages extrêmement touchante ».

« Morose délectation », de Gopal Dagnogo, au 110 Honoré, 110 rue Saint-Honoré, 75001 Paris. Jusqu’au 1er juin.

Fragments bombardés du bonheur, poème de Julien Delmaire à propos des œuvres de Gopal Dagnogo (éditions 110 Véronique Rieffel, collection Bal.l.ades, 38 pages, 10 euros). Sortie le 24 mai.

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