lundi, mai 20

Le dessinateur de presse Cambon a publié dans Le Journal des arts, le 28 avril, une caricature intitulée « L’état du monde à Venise ». Des visiteurs de la Biennale d’art contemporain, bien vêtus et flûte de champagne (ou de prosecco) à la main, regardent, admiratifs et souriants, une sculpture représentant notre planète couturée de cicatrices, constellée de pansements, et prête à recevoir d’autres blessures comme avec ce bateau de migrants, ces missiles ou ces bombes qui explosent un peu partout.

La charge est juste, hélas, mais la Biennale, qui se tient depuis le 20 avril jusqu’au 24 novembre, révèle aussi un autre constat – sociologique, intellectuel ou idéologique, comme on voudra. Moins dans les œuvres exposées (certaines sont militantes, mais il n’y en a pas tant que cela) que dans ce qu’on veut leur faire dire. Précisons que la Biennale se compose de plusieurs sous-ensembles : le premier, le plus attendu, est la section internationale, confiée chaque fois à un commissaire d’exposition différent. Le Brésilien Adriano Pedrosa a conçu celui de cette édition.

Le deuxième, ce sont les pavillons nationaux. Chaque pays représenté, quatre-vingt-dix en 2024, montre les artistes de son choix. Le troisième, qui se développe de plus en plus, ce sont des expositions privées organisées dans des palais loués – fort cher – pour l’occasion, ou dans l’espace public, par des grandes galeries ou des maisons de mode, quand ce n’est pas par des artistes eux-mêmes, pour peu qu’ils en aient les moyens financiers.

Lire le reportage | Article réservé à nos abonnés La Biennale de Venise 2024 expose les migrations et leurs drames

Jean-Hubert Martin l’avait magistralement démontré, en 1989 à Paris, avec son exposition « Les Magiciens de la terre » : il y a des artistes formidables ailleurs qu’en Occident. Mais lui avait effectué une sélection rigoureuse des œuvres, sur des bases esthétiques, exposant seulement ce qu’il estimait être le meilleur. Aujourd’hui, ces critères semblent n’avoir plus cours : tout se vaut.

Sous le titre « Etrangers partout », Adriano Pedrosa affiche sa volonté de donner la vedette à des artistes d’Amérique latine, d’Afrique ou du Moyen-Orient. Parmi eux, nombreux sont ceux qui participent pour la première fois à une Biennale. Sur trois cent trente et un artistes sélectionnés, une centaine n’avaient jamais été montrés à Venise, soulignent fièrement les cartels apposés près de leurs œuvres : à les regarder, dans bien des cas, on comprend pourquoi… Travailler dans une contrée de ce que l’on nomme le Sud global ne confère pas nécessairement du talent.

Nouvel ordre moral

Pas plus qu’être une femme, comme l’a démontré la Biennale précédente, organisée par Cecilia Alemani qui la leur avait entièrement consacrée et ainsi hélas prouvé que certaines pouvaient être aussi médiocres que les hommes, ce qui, paradoxalement, est une victoire, si l’on se souvient de la remarque de Françoise Giroud, dans Le Monde, en mars 1983 : « La femme sera vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente. » Se revendiquer queer ou LGBTQI +, si cela a rarement obéré une carrière d’artiste (lesbiennes et gays ont été nombreux aux XXe et XXIe siècles à connaître le succès, indépendamment de leur orientation sexuelle, en Occident tout du moins : dans certains pays du Sud global, cela peut leur valoir la peine de mort), n’est pas non plus, à voir certaines œuvres exposées à Venise, un gage de qualité : il ne suffit pas de se couper l’oreille pour devenir Van Gogh.

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