mercredi, mai 8

Raconter la grande histoire à travers le parcours d’un homme, le chemin emprunté par l’Eglise à travers l’itinéraire de son chef, arrivé au soir de sa vie : c’est la tâche à laquelle a voulu s’essayer le pape François, dont un livre d’entretiens intitulé Vivre et écrit en collaboration avec le vaticaniste italien Fabio Marchese Ragona est paru simultanément en Europe et aux Etats-Unis le 20 mars.

L’exercice est en soi assez classique, c’est l’identité de la personne qui s’y livre qui rend la chose aussi atypique. Car le fait est que, depuis son élection par le conclave, le 13 mars 2013, le prélat argentin n’est plus un homme ordinaire. C’est ce qui rend le ton simple et direct de Vivre aussi inattendu et atypique, voire, parfois, déconcertant.

Né le 17 décembre 1936 à Buenos Aires, en Argentine, Jorge Bergoglio n’a pas 3 ans lorsque éclate la seconde guerre mondiale en Europe. Ainsi, contrairement à ses deux prédécesseurs, le Polonais Karol Wojtyla (devenu Jean Paul II) et l’Allemand Joseph Ratzinger (Benoît XVI), qui ont grandi au cœur du cataclysme, le futur pape n’a-t-il entendu de la guerre que des bruits affaiblis par la distance, et les sons étouffés de ces conversations dont les adultes essayaient de protéger les enfants. Cependant, l’écho du conflit parvenait tout de même au modeste domicile familial, à travers les récits des oncles et cousins restés en Italie. Car les Bergoglio sont une famille de déracinés : la famille du père du futur pape est arrivée en Argentine en 1929, « où ils furent accueillis à l’Hôtel de Inmigrantes, un centre d’accueil pour migrants pas si différent de ceux dont on entend parler aujourd’hui ».

Curieux euphémisme

Une jeunesse en périphérie des drames du monde occidental et une attention particulière au sort des migrants et apatrides, dont le mal du pays est comparé à « une épine dans le cœur »… Deux des bases de l’action du futur pape sont posées dès cette origine. L’appel de la vocation, par la suite, est décrit comme une évidence, jusqu’à l’entrée au séminaire, en 1959. Durant ces années de formation, le futur prêtre confesse seulement un « petit écart », une rencontre avec une jeune femme dont l’image a hanté son esprit quelques jours. « Heureusement, cela a fini par passer et je me suis consacré à ma vocation. » Cet épisode est le seul durant lequel on sent, l’espace de quelques lignes, que le jeune homme s’est parfois laissé gagner par le doute.

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Centré sur l’intime plus que sur la politique, l’autoportrait dessiné par le pape François suggère l’image d’un homme rejetant toutes les idéologies, résistant aussi bien à la tentation de la théologie de la libération (courant de pensée insistant sur la libération des pauvres de leur condition) qu’au néolibéralisme. Cette voie médiane ne lui épargnera pas les critiques, en particulier durant la dictature militaire (1976-1983), lorsque nombre de militants de gauche l’accusent de complaisance envers le pouvoir, ou, plus tard, quand les plus conservateurs lui trouvaient de dangereux penchants communistes. Elle le conduit parfois à employer de curieux euphémismes, comme lorsque le déclenchement de la seconde guerre mondiale est attribué à la « méchanceté humaine » plus qu’au nazisme ou à formuler des équivalences très contestables, renvoyant dos à dos Bruxelles et le premier ministre hongrois, Viktor Orban, en opposant le « besoin pressant d’unité » européen au respect de la « singularité hongroise », quand bien même celle-ci serait peu démocratique.

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