dimanche, mai 19
Des manifestants devant Sciences Po Paris alors que des étudiants occupent un des bâtiments, avec une barricade bloquant l’entrée, en soutien aux Palestiniens, le 26 avril 2024.

Dans la nuit du jeudi 2 au vendredi 3 mai, Hicham (les personnes citées par leurs prénoms ne souhaitent pas donner leurs noms) se penche par l’une des fenêtres du premier étage de Sciences Po, au 27 de la rue Saint-Guillaume, à Paris. En bas, un groupe colle des affiches entre les hautes grilles noires, où l’on lit : « L’antisémitisme n’aide pas la cause palestinienne ». « Est-ce que vous condamnez le Hamas ? », lui lance Samuel Lejoyeux, président de l’association l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), depuis le trottoir. De là-haut, le jeune homme, du comité Palestine, approuve. Puis renvoie : « Condamnez-vous les bombardements israéliens à Gaza ? » Le dialogue tourne court.

Une petite centaine d’étudiants passe la nuit dans l’école pour attirer l’attention sur ce qu’ils nomment un « génocide » à Gaza, avec l’intervention de l’armée israélienne en réponse à l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023. Parmi eux, Hicham, Aïcha, Zineb, James, Louise (ces trois derniers prénoms ont été modifiés) se disent athées, musulmans, juifs, « racisés » ou non, sans leader. Le jour, ils portent des masques, redoutant d’être ciblés dans les médias comme « des “islamo-gauchistes” du Hamas », rapporte Aïcha, 22 ans, étudiante à l’école de droit. Ces jeunes nés entre 2002 et 2005, l’œil fixé sur les « stories » de Gaza sur les réseaux sociaux, instantanés de guerre qui les hantent, en ont les larmes aux yeux : « On ne peut pas rester comme ça. »

« Dernière sommation, veuillez quitter les lieux » : le lendemain, les CRS entrent dans la Péniche, le hall historique de Sciences Po, où subsistent une cinquantaine d’étudiants en sit-in, affiche à la main « Les enfants de Gaza nous remercient ». « J’ai vu vos affiches, je marche dessus », lâche un policier, en poussant une étudiante vers la sortie. Dans la rue, d’autres élèves sont dispersés le long du boulevard Saint-Germain. « On vient de se faire virer par la police, alors qu’on ne bloquait pas l’entrée ni la vie académique, réagit James, keffieh noir et blanc sur la tête, en deuxième année. On comprend que Bassères [l’administrateur provisoire de l’école] n’est pas de Sciences Po, il est du gouvernement ! »

Voilà la prestigieuse école de la rue Saint-Guillaume, lieu bouillonnant d’engagements militants, de production des sciences sociales et de formation d’une partie des élites, devenue depuis soixante jours un théâtre politique où se donnent à voir blocages et flambée d’émotions. A l’intérieur, où Le Monde s’est rendu, parmi les grappes d’étudiants passionnés par leur cause, ou à l’étage du mythique bureau du directeur, ce petit monde s’efforce pourtant de débattre, dans un mélange d’incompréhensions de langage, d’accusations croisées d’antisémitisme et de sionisme, de désaccords sur le rôle de l’université face aux fracas du monde.

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