samedi, mai 4

A l’occasion du 40e anniversaire de l’abolition de la peine de mort en 2021, Robert Badinter raconte, dans l’entretien qu’il a donné à Sylvie Humbert, Hervé Leuwers et moi-même pour notre ouvrage Les Chemins de l’abolition de la peine de mort. De Cesare Beccaria à Robert Badinter (La Documentation française, 2023), la journée du 30 septembre 1981. En ce jour de vote de l’abolition au Sénat, il se trouve à la place où siégeait Victor Hugo dans l’Hémicycle. Au moment où s’affiche le résultat du vote, il pose sa main sur la plaque commémorative de l’écrivain, comme pour sentir sa présence. Il est 12 h 50. A cette date, le vœu d’une « abolition pure, simple et définitive » qu’ils partagent se réalise enfin. Il conclut l’entretien d’une voix presque murmurée. « Il faisait beau, ce matin ; le brouillard était dissipé… Je suis sorti du Sénat, j’ai parcouru le jardin du Luxembourg où il y avait des enfants qui étaient là et jouaient, je me suis assis et je les ai regardés, j’ai eu un sentiment particulier si fort… la peine de mort n’existait plus, c’était fini. »

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Robert Badinter nous quitte aujourd’hui après avoir accompli sa mission avec le même sentiment de plénitude. Avocat familier des prétoires, il fait de l’histoire judiciaire, de ses rites et de ses acteurs sa passion prédominante. Garde des sceaux, il demande le dossier de Landru, criminel notoire de la Belle Epoque, et s’indigne en apprenant qu’il n’a pas été versé aux archives. Dans un ministère sans souci de sa mémoire et de son patrimoine, il crée alors l’Association française pour l’histoire de la justice, longtemps placée sous la présidence de Pierre Truche, à qui il avait confié l’accusation dans le procès de Klaus Barbie.

Chez lui, l’histoire s’écrit au présent. Par ces deux passions conjointes, celle de l’histoire et celle de la justice, il lie le goût des archives aux combats de son temps. Le temps court de la réforme s’éclaire par le temps long de l’héritage. Son bureau n’est-il pas orné des traces des combats d’hier et d’aujourd’hui : le décret de l’abolition de l’esclavage en 1791, le texte original de la Déclaration des droits de l’homme, le fac-similé du « J’accuse » de Zola dans L’Aurore, mais aussi les multiples pièces autographes ou dessins de presse sur l’abolition de 1981 ?

« Le devoir d’ingratitude »

Il suffit d’avancer dans l’ombre discrète de sa bibliothèque pour mesurer sa contribution à l’œuvre de justice. Les textes sont sous nos yeux. Celui du recours individuel permettant aux citoyens de saisir la Cour européenne des droits de l’homme en 1981. Celui du protocole de la Convention européenne qui interdit, en 1986, le rétablissement de la peine de mort. Ceux de la commission pour la paix dans l’ex-Yougoslavie qu’il préside en 1992. Sur son bureau figure son dernier ouvrage, Vladimir Poutine. L’accusation (Fayard, 2023), écrit avec Bruno Cotte et Alain Pellet, qui dresse un acte d’accusation impitoyablement argumenté contre le président russe. Face à la guerre d’agression livrée en 2022 à l’Ukraine, comme jadis lors de la guerre dans les Balkans, chaque fois que l’Europe est menacée, il rappelle que la paix passe par la justice. « J’ai la nuque raide en matière de justice et de droit », a-t-il l’habitude de dire.

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