dimanche, mai 5
Louis-Ferdinand Céline, lors de son procès, à Paris, en février 1950.

FRANCE INTER – À LA DEMANDE – PODCAST

France Culture, 2019. Christine Lecerf, avec le talent qui est le sien, nous plongeait, pendant dix heures, au « fond de la nuit » de Louis-Ferdinand Céline (1894-1961). Tout au long de cette « Grande Traversée », historiens, écrivains, acteurs et céliniens questionnaient le cas Céline.

C’est que, plus d’un demi-siècle après sa mort, celui qui est né Louis Ferdinand Destouches divise : en 2018, Gallimard renonce à publier ses pamphlets antisémites, lesquels, comme le rappellera alors Serge Klarsfeld, fondateur de l’association Fils et filles des déportés juifs de France, « ont eu un rôle important et criminel ».

Depuis (fin de l’été 2021), six mille feuillets inédits, dont trois romans et ce que Céline lui-même appelle « le dossier juif », ont refait surface. Gallimard a publié un de ces textes : Guerre (2022), dans une édition établie par Pascal Fouché avec un avant-propos de François Gibault, lesquels ne mentionnent nullement les pamphlets.

Lire l’enquête (2021) : Article réservé à nos abonnés Des milliers de feuillets inédits : les trésors retrouvés de Louis-Ferdinand Céline

C’est dans ce contexte que Philippe Collin décide de « soumettre le destin de Céline au regard des historiens », explique en préambule le journaliste qui a consacré une série à Philippe Pétain et une autre à Léon Blum, en 2022. Rappelons ici ce que Céline écrivait en 1937 : « Je le dis tout franc, comme je le pense, je préférerais douze Hitler plutôt qu’un Blum omnipotent. »

Plus radical que Vichy

Dès lors, demande Collin, « quelle place occupe le sulfureux écrivain dans notre mémoire collective ? Styliste de génie (…), Louis Destouches n’en demeure pas moins un antisémite virulent et radical, raciste et pronazi patenté, qui a œuvré à la faillite morale et politique du régime de Vichy ». A travers de nombreuses archives et en s’appuyant sur les grands historiens de la période, Philippe Collin nous donne à entendre ce que l’écrivain incarne dans la société française d’hier et d’aujourd’hui.

Les premiers épisodes reviennent sur des faits connus : sa naissance à Courbevoie (actuel département des Hauts-de-Seine), son engagement dans la première guerre mondiale, sa blessure, sa thèse sur Semmelweis, la publication de Voyage au bout de la nuit en 1932 et le Goncourt raté.

Si, après la Shoah, Céline s’appuiera sur son pacifisme pour justifier son antisémitisme, il fut pourtant bien collaborationniste. Ainsi, dans Les Beaux Draps, il a recours à une note en bas de page pour dire : « J’entends par juif tout homme qui compte parmi ses grands-parents un juif, un seul. » Or Les Beaux Draps est publié en février 1941, quelques mois après le « premier statut des juifs », décret-loi qui « regarde comme juif toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif ». Céline est donc plus radical que le régime de Vichy. Les historiens rappellent que « les mots sont performatifs » : « L’antisémitisme de plume devient antisémitisme d’action » (passionnants épisodes 6 et 7).

Précaution scientifique

Le huitième épisode montre comment, de Copenhague, où il a fui, Céline « tisse sa toile d’innocence » (Philippe Collin). Puis comment, après avoir bénéficié d’une « amnistie douteuse » (comme l’affirme Anne Simonin, qui a travaillé sur les archives du procès de l’écrivain), Céline insistera, à son retour en France, sur son statut de « victime de la politique d’épuration ».

Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences

Découvrir

Le dernier épisode pose, notamment, la question de la republication des pamphlets – ce que refusent les descendants de Céline, même si, rappelons-le, ils sont lisibles en ligne et qu’ils tomberont dans le domaine public fin 2031, donnant alors la possibilité à quiconque de les rééditer sans précaution scientifique. L’historienne Odile Roynette interroge, soucieuse : « En quoi est-ce utile de rééditer des textes d’une telle violence dans le contexte très compliqué d’intolérance à l’égard de la communauté juive qui monte ? »

Lire aussi (2023) : Article réservé à nos abonnés Guerre Israël-Hamas : l’inquiétude de la communauté juive de France face à la recrudescence des actes antisémites

Enfin, que dire de l’important corpus – ces 6 000 feuillets inédits qui avaient disparu à la Libération avant de réapparaître en 2020 – qui reste inexploitable par les chercheurs, ce que tous regrettent ? Pour Anne Simonin, « Céline est intéressant parce qu’il emblématise une façon qu’ont eue les Français de ne pas vouloir voir jusqu’où ils étaient descendus quand ils avaient accepté la politique de collaboration allemande ». Et d’ajouter : « Mon intérêt pour le cas Céline est aussi comment on se raconte des histoires et comment on finit par y croire. »

Pour Philippe Collin, pas de doute : « On s’est raconté beaucoup d’histoires sur Céline ; et, puisqu’il est dit que c’est le plus grand écrivain français du XXe siècle, ça m’intéressait de savoir qui il est en essayant de sortir de la fable. Faire de l’histoire, c’est tenter de s’approcher d’une vérité scientifique. »

« Louis-Ferdinand Céline, le voyage sans retour », série de Philippe Collin, réalisée par Violaine Ballet et Juliette Médevielle (Fr., 2024, 9 × 55 min). Sur Radiofrance.fr et toutes les plates-formes d’écoute habituelles.

Réutiliser ce contenu
Partager
Exit mobile version