jeudi, mai 9
L’historien M’hamed Oualdi, en 2022.

Professeur à Sciences Po, M’hamed Oualdi est historien, spécialiste du Maghreb moderne et contemporain. Auteur de travaux sur l’esclavage dans l’aire arabo-musulmane, il a notamment publié Esclaves et maîtres. Les mamelouks des beys de Tunis du XVIIe siècle aux années 1880 (Editions de la Sorbonne, 2011) et Un esclave entre deux empires. Une histoire transimpériale du Maghreb (Seuil, 2023). Il vient de signer L’Esclavage dans les mondes musulmans. Des premières traites aux traumatismes (Editions Amsterdam, 256 pages, 19 euros), qui décrit les différentes formes historiques d’asservissement dans cette région et leurs legs contemporains.

Le racisme anti-Noirs au Maghreb, dont on a récemment vu des manifestations en Tunisie, est-il un héritage de l’esclavage dans les mondes musulmans ?

Il ne faut pas être schématique, ce racisme peut avoir plusieurs sources. En Tunisie, par exemple, les migrants subsahariens sont perçus et stigmatisés comme des gens convoitant les ressources des Tunisiens. Mais le lien entre racisme anti-Noirs au Maghreb et esclavage est bien sûr important. En témoigne la manière de qualifier, aujourd’hui encore, les Noirs en langue arabe avec des termes liés à l’esclavage, comme wusif, qui veut dire « domestique », mais qui a fini par désigner les Noirs.

Lire aussi la tribune : « La question très taboue du racisme en Tunisie n’a jamais fait l’objet d’un débat national »

Quelle est aujourd’hui la mémoire de l’esclavage dans ces pays ?

Cette interrogation sur la mémoire renvoie à la question du silence, du tabou et du trauma. A ce sujet, il faut éviter les constats paresseux : le silence et la gêne sont perceptibles mais, contrairement à ce que ressasse le cliché, ils ne sont pas absolus. Je cite dans mon livre un certain nombre de productions – des romans et des recherches en langues non européennes – qui démentent l’idée selon laquelle ce passé esclavagiste n’aurait suscité aucun intérêt dans les mondes musulmans. Certes, ces productions ne s’adressent pas au grand public – il ne s’agit pas de séries télévisées –, mais il y a bien un changement qui s’amorce dans ce domaine.

Au niveau institutionnel, cette mémoire est rare, mais elle existe. Deux pays se distinguent à cet égard. D’abord la Tunisie, où l’ancien président Béji Caïd Essebsi [2014-2019] avait institué, en 2019, une journée de célébration de l’abolition de l’esclavage [en 1846] dans le pays. Cette commémoration a perdu de sa force depuis les déclarations officielles hostiles aux migrants subsahariens qui ont déchaîné une vague de violences anti-Noirs. Ensuite le Qatar, qui n’a aboli l’esclavage qu’en 1952, mais où il existe, à Doha, un musée autour de cette mémoire aménagé dans la maison de Ben Jelmoodsz [un négrier du XIXe siècle].

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