jeudi, mai 9
Le cinéma Le Marivaux, à Paris, le 30 mai 1953.

« Il s’agit d’une histoire très singulière », prévient dans ses conclusions, le 25 juin 2015, Pierre-Alain Weill, rapporteur général de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliation (CIVS). La saga d’une famille juive dont le héros, Léon Siritzky – de son vrai nom Israël Siroshkine –, originaire de Russie et né en 1887 à Mykolaïv, un port du sud de l’Ukraine, a par trois fois dû fuir un pays pour repartir de zéro. Et par trois fois a réussi de façon éclatante à s’imposer dans le cinéma.

L’un des petits-fils de cet homme d’affaires, Serge Siritzky, âgé de 79 ans, publie, vendredi 3 mai, Le cinéma était leur pays (Vérone éditions, 242 pages, 19 euros), qui retrace le récit exceptionnel de cette famille, tout comme l’histoire mondiale du cinéma écrite entre Constantinople, Paris et New York. Un parcours flamboyant, ponctué de fortunes fort enviables et de descentes aux enfers.

Ce qui était resté ignoré concerne une sidérante manœuvre de l’Etat français mis au jour grâce à la CIVS, la commission instaurée en 1999 dans le prolongement de la mission Mattéoli, elle-même chargée de l’étude de la spoliation des juifs de France entre 1940 et 1944.

Léon Siritzky avait déjà connu plusieurs vies mouvementées avant de contrôler, en 1938, le troisième circuit de France, après Gaumont et Pathé. Selon l’hebdomadaire La Cinématographie française, rien qu’à Paris, il compte six des vingt-six salles d’exclusivité – les plus importantes à l’époque, puisque les films y étaient présentés avant les autres et le prix des places y était le plus élevé. Le groupe contrôle au total une vingtaine de salles de ce type dans le pays, sans compter les cinémas de seconde exclusivité. Déjà La Grande Illusion (1938), de Jean Renoir, avait fait salle comble à Paris et le circuit avait aussi sorti, parmi les grands succès de l’époque, Un carnet de bal (1937), de Jean Duvivier, ou Le Quai des brumes (1938), de Marcel Carné.

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Mais le regain d’antisémitisme et l’occupation de la France par les nazis vont obliger une nouvelle fois la famille à s’exiler. D’autant plus que Léon Sirtizky est le seul exploitant, en 1939, à avoir programmé Je suis un espion allemand, du réalisateur américain Anatole Litvak, sur la traque des espions nazis par le FBI. Un choix de programmation pour le moins audacieux. En septembre 1940, une ordonnance de la Propagandastaffel, le service chargé par les Allemands de la propagande et du contrôle de la presse et de l’édition tricolores pendant l’Occupation, décide la fermeture des salles de cinéma appartenant à des juifs. Un mois plus tard, un décret-loi leur interdit l’exercice de certaines professions, dont toutes celles du cinéma.

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