jeudi, mai 9

La tribune de Philippe Courtet et Emilie Olié, « L’aide à mourir ne doit pas être laissée à la seule appréciation du patient » (Le Monde, 10 avril), soulève beaucoup de questions. Les deux psychiatres affirment que la dépression peut altérer la capacité d’un malade à prendre des décisions éclairées, même dans le cas de maladies corporelles comme le cancer. L’acte suicidaire ne serait qu’« une réponse désespérée à une douleur psychologique insupportable » ; or celle-ci, d’après eux, peut toujours être soulagée par des traitements médicamenteux appropriés. Ils concluent à « la nécessité d’une évaluation psychiatrique approfondie pour tous les patients demandant une aide à mourir ». La décision d’aide à mourir « doit être fondée sur une évaluation médicale ».

On peut se demander si cette exigence n’est pas contradictoire avec la loi Kouchner, qui garantit le droit du patient à refuser un traitement, y compris par des directives anticipées. Dans le cas de la mort délibérée, le patient refuse tout soin médical pour lui préférer un acte de liberté personnelle. Mais, si nous suivons la proposition de la précédente tribune, il devrait d’abord avoir l’accord du médecin psychiatre qui garantirait « sa capacité à prendre des décisions éclairées » et, s’il le juge « dépressif », lui prescrirait un traitement à base d’antidépresseurs et d’antalgiques !

Le patient serait ainsi considéré comme ayant assez de discernement pour refuser un traitement (loi Kouchner), mais pas assez pour bénéficier d’une aide à mourir. Il se trouverait enfermé dans un cercle inextricable : pour exercer son droit de refuser tout traitement médical et bénéficier d’une aide à mourir, il aurait l’obligation de se soumettre à une expertise médicale qui déciderait souverainement s’il peut ou non exercer son droit. Ce que le pouvoir médical abandonne d’une main, il le reprend de l’autre.

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Comment sortir de ce cercle ? En France et dans tous les Etats démocratiques, il y a une autorité supérieure à celle du médecin : c’est celle du juge. Si une personne fait l’objet d’un internement psychiatrique contre sa volonté sur prescription médicale, elle peut faire appel à au juge des libertés qui pourra la libérer même contre l’avis du médecin. Pareillement, c’est un juge qui décide la mise en tutelle d’une personne ; il prend l’avis d’un médecin, mais n’est pas tenu de le suivre.

Jurisprudence européenne

Qui peut contester que la décision de mourir relève de la liberté, et non d’un simple soin médical parmi d’autres, fût-il « ultime » ? C’est en tout cas l’avis de la Cour européenne des droits de l’homme, qui dans plusieurs arrêts récents en fait une situation relevant de l’article 8 de la Convention des droits de l’homme, relatif au droit de chacun à mener sa vie privée comme il l’entend.

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