mardi, avril 30
Ronan Kervarrec, dans son restaurant Le Saison, à Saint-Grégoire (Ille-et-Vilaine),  le 15 mars 2024.

Peu de chefs chevronnés avouent que cuisiner n’est pas le plus important pour eux. Ronan Kervarrec est de ceux-là. Ce Breton, né à Hennebont (Morbihan) il y a cinquante-cinq ans, le confesse en trébuchant un peu sur les mots, héritage d’une dyslexie diagnostiquée sur le tard. Il a pourtant décroché, ce lundi 18 mars, une deuxième étoile au Guide Michelin 2024 pour son restaurant Le Saison, situé dans le bourg de Saint-Grégoire (Ille-et-Vilaine), au nord de Rennes. Sa voix, très douce, contraste avec un visage aux traits anguleux, comme taillé dans le granit, que vient durcir un peu plus une barbe poivre et fleur de sel. Il a le regard noir, cerné, de ceux qui ne trichent pas et bûchent un peu trop.

« Je passe beaucoup de temps en cuisine, mais non, cuisiner n’est pas l’essentiel : ce que je veux, c’est toucher le cœur de ceux qui viennent chez moi, confie-t-il. J’ai envie de faire rire, pleurer, comme au théâtre. Capter une émotion. C’est toute mon enfance que j’essaie de traduire dans mes assiettes. Il faut fermer les yeux pour partir avec moi en promenade au bord de l’eau. »

La mer est le fil bleu qui relie toutes les merveilles de sa table. La salle, aux tons blanc et or, est ponctuée de pinces de homard juchées sur des socles, de carapaces d’oursin et de coquillages posés sous cloche, comme si un gamin avait voulu élever les pépites glanées sur la plage au rang de trophées. Et après un apéritif bousculé par des chips de laitue de mer, chacune de ses assiettes − araignée de mer plongée dans un bouillon de carcasse ; coques barbotant avec des spaghettis de mer dans un onctueux beurre blanc − est une madeleine iodée qui raconte un peu de son histoire.

Ronan Kervarrec est issu d’une lignée de cuisiniers : sa grand-mère et son père ont tenu le gouvernail d’un restaurant ouvrier changé en auberge, Le Toul Douar, à Hennebont. L’établissement fait hôtel. Ronan, son grand frère et sa petite sœur dorment dans les chambres, ou chez des amis quand il est complet. La table, très accessible, a belle réputation. « Pièces montées, gigot d’agneau… Mon papa, qui était à la fois pâtissier, cuisinier, qui avait même été saucier au George V à Paris, mais ne s’en vantait pas, savait tout faire. Il était évidemment, pour moi, le meilleur chef du monde », sourit Ronan Kervarrec.

De la fratrie, il est le seul à accompagner son paternel en cuisine pour apprendre à préparer la nougatine, déveiner le foie gras ou s’initier à l’art délicat des sauces. Enfant, il se rend aussi avec lui sur le port de Lorient, dès 6 heures du matin, pour acheter les langoustines (alors à des prix très abordables) et les poissons de petits bateaux, ou pousser du côté de Port-Louis (Morbihan) pour rapporter de jolis thons qui font la joie des clients de l’auberge.

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