lundi, mai 6

Cinquante ans après, la brèche est toujours là, rare trace physique d’une révolution qui balaya quarante-huit ans de dictature portugaise en moins de vingt-quatre heures : une discrète entaille, à peine 50 centimètres de haut, creusée dans les montants de pierre qui bordent l’entrée de la garde nationale républicaine (GNR). La façade du bâtiment donne sur une place pleine de charme, celle du Carmo, au centre de Lisbonne. Parmi les touristes qui déambulent à cet endroit, combien savent qu’un coup d’Etat militaire fomenté par une poignée de jeunes capitaines s’y est transformé en révolution populaire, le 25 avril 1974 ?

Ce jour-là, vers 19 h 30, un blindé léger de fabrication portugaise, le Chaimite Bula, quitte la GNR en esquintant les pierres du porche, trop rapprochées pour le laisser passer. La place est noire de monde, les plus agiles se sont même perchés sur les arbres pour apercevoir la scène. Quelques minutes plus tôt, l’engin s’était engagé en marche arrière, pour embarquer un passager. Cet homme, qui finira ses jours en exil, c’est Marcelo Caetano, dernier président du Conseil du régime d’extrême droite fondé par Antonio de Oliveira Salazar, en 1933. Il a grimpé dans le véhicule après avoir prononcé une seule phrase, rapportée plus tard par le conducteur : « C’est la vie. » Au terme d’une après-midi de palabres et d’atermoiements, l’ancien universitaire venait de capituler, remettant formellement ses pouvoirs aux insurgés. L’Estado Novo (« Etat nouveau ») n’était plus.

En une nuit et une journée, la révolution, qui ne s’appelait pas encore « des œillets » (elle devra ce nom à des fleurs distribuées aux soldats par une marchande lisboète, puis placées dans le canon des fusils), s’apprêtait donc à changer la vie des Portugais. Grâce à elle, 8,7 millions de citoyens recouvraient une liberté que la plupart n’avaient jamais connue. Elle mettait aussi fin à d’interminables guerres coloniales (Mozambique, Angola et Guinée) qui épuisaient le pays depuis quinze ans.

Depuis, le Portugal avait longtemps paru vacciné contre l’extrême droite, celle-ci ayant pratiquement disparu de l’échiquier politique. Mais l’histoire a des ironies. Aux élections législatives du 10 mars, soit un mois et demi avant les commémorations du cinquantenaire, cette exception portugaise a fait long feu : avec 18 % des suffrages, le parti d’extrême droite Chega (« Ça suffit »), créé cinq ans plus tôt, remanie en profondeur le paysage parlementaire. Un véritable ébranlement, dans un pays où beaucoup chérissent encore le souvenir de leur révolution.

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