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Dans la grande mosquée de Niamey, lors d’un prêche de l’imam Cheikh Djibril Soumaila Karanta, président de l’Association islamique du Niger, le 15 septembre 2023.

« Marche révolutionnaire », « lutte contre l’impérialisme »… Les termes résonnent étrangement sous les hautes arcades ornées de céramiques de la grande mosquée de Niamey, capitale du Niger, face aux caméras de la télévision nationale. En ce premier vendredi de février, l’imam salafiste Souleymane Maiga Mounkaila participe, aux côtés de militants de la société civile, à une « prière de soutien » à la décision des nouvelles autorités militaires de retirer leur pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

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Le haut lieu de la vie religieuse de Niamey, tout comme la rue et les réseaux sociaux, s’est trouvé au cœur des mobilisations en faveur des militaires après le coup d’Etat qui a renversé le président Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023. Sur la « place de la résistance », où, pendant des mois, des milliers de manifestants ont exigé le départ des troupes françaises du pays, des prédicateurs se mêlaient aux musiciens et militants « panafricanistes » pour haranguer la foule à la gloire des généraux, présentés en libérateurs. Chacun avec ses arguments. « Quand c’est le politique qui parle, le musulman émet des réserves. Mais quand on lui dit que c’est le prophète qui parle, il a envie d’aller vers la bataille », affirme à l’AFP l’imam Mounkaila.

Comme au Burkina Faso et au Mali, eux aussi théâtres de coups de force perpétrés par l’armée ces trois dernières années, les leaders religieux, notamment salafistes, ont émergé comme des alliés inattendus des nouveaux régimes militaires.

Slogans anti-français

Au Niger et au Burkina, les régimes bénéficient de l’appui des leaders religieux, « mieux structurés » et « plus vocaux » que leurs autres soutiens, note Ibrahim Yahaya Ibrahim, directeur adjoint chargé du Sahel à l’International Crisis Group (ICG). Et si au Mali, l’imam Mahmoud Dicko est désormais l’un des plus ardents détracteurs du régime et appelle au retour des civils au pouvoir, il a d’abord été l’un des principaux instigateurs des contestations populaires qui ont provoqué la chute du président Ibrahim Boubacar Keïta, en 2020, et un soutien du colonel Assimi Goïta.

A Ouagadougou, l’accession au pouvoir du jeune capitaine Ibrahim Traoré en 2022 – premier chef de l’Etat musulman depuis 1980 dans un pays où l’islam représente environ 60 % de la population – a facilité la mobilisation de la communauté wahhabite, principalement incarnée par le Mouvement sunnite du Burkina Faso (MSBF). Ces mouvements, qui « mobilisent autour de l’idée que les chrétiens ont accaparé la gestion politique du pays depuis l’indépendance », essaient « d’influencer le cours de la transition en donnant une plus grande place aux musulmans », analyse Ibrahim Yahaya Ibrahim.

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L’imam Mohammad Ishaq Kindo, chef spirituel du MSBF formé en Arabie saoudite, appelle dans ses prêches à soutenir l’effort de guerre contre les groupes djihadistes qui sévissent sur une grande partie du territoire. Sa mosquée accueille régulièrement des ministres venant prier lors de fêtes comme la Tabaski. Et les salafistes sont en première ligne dans les manifestations de soutien à la transition militaire, reprenant les slogans anti-français en vogue dans la région et les appels à renforcer la coopération avec la Russie, dont ils brandissent les drapeaux.

Ce discours anti-occidental n’est pas nouveau et s’appuie, depuis une vingtaine d’années, « sur l’échec des politiques de développement occidentales et la corruption des élites », souligne l’anthropologue franco-nigérien Jean-Pierre Olivier de Sardan. Les régimes démocratiques issus des années 1990, soutenus par l’ancienne puissance coloniale française, « ont engendré des déceptions majeures face auxquelles une certaine forme de retour à l’ordre moral se pose comme la seule alternative », dit-il à l’AFP.

« Entrepreneuriat religieux »

Principe de laïcité, droits des femmes ou des homosexuels ont également suscité des débats houleux qui ont révélé de profondes divisions entre certaines élites et une partie de la population. « L’Occident dictait à nos dirigeants ses volontés sur les plans politique, sécuritaire, culturel, qui sont diamétralement opposées aux valeurs de l’islam et de nos cultures », résume l’imam Souleymane Maiga Mounkaila.

Les autorités maliennes ont suivi les préceptes les plus rigoristes des religieux, interdisant notamment l’usage de la chicha. Au Niger, les prières de rue et le port du voile sont devenus la norme depuis le début des années 2000, et les écoles coraniques ont essaimé dans les quartiers. Depuis le coup d’Etat qui a porté au pouvoir le général Abdourahamane Tiani, certains vont jusqu’à prêcher en treillis militaires à la télévision ou dans la rue.

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« La religion représente un capital social important et le régime essaie de légitimer son pouvoir en faisant des clins d’œil à ces prédicateurs », affirme Abdoulaye Sounaye, chercheur au Leibniz-Zentrum Moderner Orient (ZMO) de Berlin. De leur côté, « les imams surfent sur la popularité de la junte » et le « souverainisme en vogue » à travers une forme d’« entrepreneuriat religieux » souvent opportuniste, selon M. Sounaye.

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Mais en dépit d’une influence grandissante dans les sociétés sahéliennes, le poids politique de ces mouvements reste pour l’heure limité face à des militaires tenants d’une ligne dure qui ont suspendu les partis au Niger, au Burkina Faso et au Mali. La nouvelle Constitution adoptée en juillet 2023 au Mali a ainsi maintenu le principe de laïcité de l’Etat, faisant fi des réclamations des fondamentalistes.

Le Monde avec AFP

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