jeudi, mai 9
« Cannes, France », une commande réalisée par Martin Parr en 2018 pour Gucci.

Tourisme mondialisé, kermesses colorées, cornets de glace qui dégoulinent, fêtes où l’alcool coule à flots, invités rougeauds qui rient à gorge déployée, corps trop bronzés, fripés ou bodybuildés… Le photographe britannique Martin Parr documente, depuis plus de quatre décennies, un monde occidental tout en excès. Comment la mode, devenue le grand 8 consumériste du XXIe siècle, aurait-elle pu lui résister ?

Pour la première fois, ses clichés de mode étalés sur vingt-cinq ans se retrouvent compilés dans un beau livre qui paraît chez Phaidon. Son titre, habilement choisi, pose d’entrée la question du bon et du mauvais goût, inhérente à son œuvre : Fashion Faux Parr, une référence au « fashion faux pas », ce dérapage vestimentaire que certains croient bon d’épingler.

L’ouvrage mélange des photos commandées par des magazines (Vogue, Elle, Vanity Fair, Jalouse), des séries réalisées pour des marques (Balenciaga, Jacquemus, Zara) et quelques clichés saisis à la volée en période de fashion week. De-ci, de-là, on reconnaît des figures de l’industrie dans des scènes qui les banalisent et les humanisent : Giorgio Armani et Valentino Garavani en backstage, la mannequin Stella Tennant (1970-2020) qui jardine, Anna Wintour les yeux rivés sur son smartphone, Paul Smith dans son bureau en grand désordre, Vivienne Westwood (1941-2022) posant aux toilettes… Dans un milieu qui échafaude des défilés et des publicités destinés à épater le commun des mortels, Martin Parr se pose en résistant au décorum et à la pompe, soucieux de toujours ramener la mode au ras du réel.

Une approche de démystification

« Dans la plupart des meilleures photographies de mode de Martin, les vraies gens occupent la même place que les mannequins », fait remarquer le designer écossais Patrick Grant dans sa préface. Dès son premier reportage, pour le magazine italien Amica en 1999, Martin Parr propulse ses mannequins minces et rousses au beau milieu d’une plage de Rimini, près d’une nonna qui veut fuir l’objectif, d’une touriste assise de façon précaire sur une bitte d’amarrage ou d’un jeune homme glabre qui bande ses muscles en slip de bain…

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Les espaces publics où la classe moyenne consomme et se détend deviendront dès lors ses meilleurs décors. Au fil des pages, ses photos de mode montrent des anonymes, surpris ou ravis d’en être, dans les vestiaires, à la station-service, au lavomatique, chez le dentiste, au McDonald’s ou au rayon surgelés d’une grande surface.

Une approche de démystification qu’il applique pareillement aux natures mortes : lunettes Gucci dans les cactus, minaudière Jimmy Choo sur le stand d’un vide-greniers, sac Dior à plusieurs milliers d’euros jeté dans un cageot de choux. Martin Parr, ironique mais pas moqueur, n’aime pas tellement la mode pour ses attributs luxueux. Il prend plutôt plaisir à épouser sa débauche, ses imprimés criards, son trop-plein de sequins, pour mieux pousser les silhouettes issues des dernières collections dans leurs retranchements, à deux doigts du bal costumé.

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