dimanche, mai 5

Conquêtes républicaines centrales, les libertés de réunion et d’expression supposent, en période de tension, de constants arbitrages entre la sauvegarde de ces principes vitaux pour la démocratie et la préservation de l’ordre public. Oublier ce nécessaire équilibre serait naïf, à un moment où les tragédies qui s’accumulent au Proche-Orient accroissent les risques de tension en France, pays où cohabitent les plus nombreuses communautés juive et musulmane d’Europe, et où le nombre d’actes antisémites augmente de façon inquiétante.

Jean-Luc Mélenchon a choisi de placer la situation à Gaza au centre de la campagne de La France insoumise (LFI) pour les élections européennes du 9 juin. Hautement discutable, ce choix, qui revient à instrumentaliser le vote des quartiers populaires et à inciter les électeurs français à s’identifier aux protagonistes de la guerre que mène Israël dans le territoire palestinien en représailles aux attaques du Hamas du 7 octobre 2023, a le droit d’être défendu, tout comme la question israélo-palestinienne a le droit d’être débattue publiquement.

C’est pourquoi la décision de présidents d’université à Bordeaux en octobre, à Rennes et à Lille en avril, d’annuler pour des raisons de « sécurité » des conférences prévues par le leader de LFI est préoccupante. C’est pourquoi celle du préfet du Nord d’interdire la réunion prévue en remplacement à Lille, jeudi 18 avril, dans une salle privée, par M. Mélenchon et Rima Hassan, juriste franco-palestinienne candidate sur la liste LFI aux élections européennes, est problématique.

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Le risque pour la sécurité publique n’était étayé par aucun précédent lors des multiples meetings de M. Mélenchon dans des universités. Lundi, le chef des « insoumis » a d’ailleurs donné, sous tension mais sans incident, une conférence à Sciences Po Paris. La décision du préfet du Nord, elle, est soupçonnée de répondre à des protestations politiques, alors que le choix d’un représentant de l’Etat dans ce domaine ne devrait pas pouvoir être suspecté d’obéir à telle ou telle pression liée au contexte électoral. Que des contestations suffisent à susciter l’interdiction aboutit à donner aux contradicteurs un droit de veto sur une réunion publique dont la prohibition devrait demeurer tout à fait exceptionnelle.

Garantir les libertés publiques fondamentales

En outre, la répétition d’interdictions insuffisamment fondées nourrit la posture de victime du système et de détenteur de vérités que l’on cherche à bâillonner dont se délecte Jean-Luc Mélenchon, en difficulté dans les sondages et en proie aux ambitions de ses rivaux. Ses outrances, comme celle qui a consisté à comparer le président de l’université de Lille au criminel nazi Adolf Eichmann, n’ont nullement besoin d’être alimentées.

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Emmanuel Macron, après la décision du préfet du Nord, a dit souhaiter que chacun « puisse exprimer sa voix », y compris Jean-Luc Mélenchon, dont il ne « partage pas la vision des choses ». Plutôt que d’encourir le soupçon de défendre une figure politique clivante pour diviser la gauche dans la perspective d’un scrutin européen difficile pour son camp, le président de la République, en libéral, serait davantage dans son rôle en se posant concrètement en garant des libertés publiques fondamentales, au lieu de les malmener comme il l’a déjà fait avec la dissolution − rapportée par le Conseil d’Etat − des Soulèvements de la Terre, ou l’interdiction systématique − elle aussi censurée cet automne − des manifestations propalestiniennes.

Le Monde

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