dimanche, avril 28

Deux parlementaires français ont saisi le Conseil d’État pour dénoncer l’accord de coopération en matière de sécurité conclu entre Paris et Kiev.
Selon eux, il aurait été nécessaire de soumettre ce texte à une ratification du Parlement avant toute signature.
Mais la procédure devant le Conseil d’État est jugée hasardeuse par une spécialiste en droit public, contactée par TF1info.

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L’info passée au crible

Le 16 février, un accord de coopération en matière de sécurité a été signé entre la France et l’Ukraine. D’une durée de dix ans, il restera valable tant que Kiev n’aura pas rejoint l’Otan. Un texte qui illustre selon le gouvernement « la volonté de la France de soutenir l’Ukraine avec des engagements précis dans les domaines militaire et civil ». En pratique, l’Hexagone « s’engage à fournir jusqu’à trois milliards d’euros d’aide militaire supplémentaire à l’Ukraine en 2024 ». Un soutien qui doit « renforcer significativement les capacités militaires ukrainiennes et répondre aux besoins urgents du pays en matière de défense ».

Mais la signature de l’accord a été dénoncée par des élus. Le sénateur Les Républicains Alain Houpert a annoncé saisir en référé le Conseil d’État. Une démarche dans laquelle l’a rejoint le député et président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan. Les deux hommes estiment que l’article 53 de la Constitution n’a pas été respecté, et qu’un tel accord, prévoyant un engagement majeur « en période d’austérité », aurait dû, au préalable, être ratifié par le Parlement.

Armement et relations internationales, des prérogatives de l’exécutif

Que nous apprend l’article 53 de la Constitution, mis en avant par le duo d’élus ? Que plusieurs types de traités « ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi », et doivent donc faire l’objet d’un examen par la représentation nationale. Sont concernés « les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire »

Alain Houpert, sur les réseaux sociaux, met surtout en avant les trois milliards d’euros de dépenses induits par l’accord et insiste sur l’impact sur les finances de l’État. Peut-il espérer obtenir gain de cause devant le Conseil d’État avec son collègue parlementaire ? Rien n’est moins sûr, estime Mathilde Philip, professeure en droit public à l’université Jean Moulin Lyon 3. Fine connaisseuse de la Constitution, elle ne souhaite pas préjuger de la décision qui sera rendue, mais voit plusieurs limites à cette action devant la justice administrative.

« On peut tout à fait critiquer l’absence de vote », glisse d’emblée la spécialiste, « d’autant qu’il faut en effet une loi du Parlement pour entériner certains accords et traités. » Néanmoins, « les relations internationales, au même titre que les exportations d’armes, sont considérées comme des prérogatives de l’exécutif » et n’appellent pas nécessairement une validation de la représentation nationale. Tout ce qui a trait « à la coopération diplomatique en elle-même est considéré comme dépendant du Premier ministre ». On note d’ailleurs que l’article 53 n’en fait pas mention. Il ne s’agit ici pas d’un traité de paix, pas plus que d’un traité de commerce. « L’organisation internationale » n’est pas non plus en jeu, à l’inverse d’un texte qui prévoirait, par exemple, la mise en place de nouvelles institutions supranationales. 

Sans doute est-ce pour cette raison que l’argument économique est mis en avant par les deux élus. Mais les dépenses de trois milliards d’euros sont intimement liées à la fourniture d’armes et à leur production. Or, « les accords signés sur ces sujets ne sont généralement pas soumis à des votes du Parlement », poursuit l’enseignante en droit public. 

Des parlementaires consultés à plusieurs reprises

Selon Mathilde Philip, il serait trompeur de laisser croire que les députés et sénateurs sont mis de côté sur la question de l’aide militaire à l’Ukraine. « Dans le cadre de la présentation du rapport annuel sur les exportations d’armement, on note que le gouvernement effectue des déclarations au Parlement, en vertu de l’article 50-1 de la Constitution. » La procédure veut qu’une déclaration soit ensuite complétée par un débat avec les élus. « Cela a déjà été réalisé à plusieurs reprises au sujet de l’Ukraine », assure l’experte.

Des votes ont aussi eu lieu au cours des dernières années. Mentionnons par exemple celui du 30 novembre 2022, autour de la « résolution n°390 affirmant le soutien de l’Assemblée nationale à l’Ukraine et condamnant la guerre menée par la Fédération de Russie ». Adopté à une large majorité (76% des votes), le texte « invite le Gouvernement et l’Union européenne à favoriser toute initiative de nature à encourager la fin du conflit, dans le respect de la souveraineté de l’Ukraine ». Dans le même temps, il enjoint l’UE « de continuer d’assurer l’Ukraine de son soutien humanitaire, financier et militaire aussi longtemps que durera le conflit ».

Cette résolution invite sans détours « le gouvernement, en lien avec ses partenaires européens, à poursuivre et à renforcer les livraisons d’armes à destination de l’Ukraine, si besoin, en augmentant le montant des crédits initialement dévolus à la Facilité européenne pour la paix ». Sans oublier le fait que l’accord signé en cette mi-février « est lié à d’autres accords internationaux », conclut Mathilde Philipp. Le gouvernement signale qu’il « fait suite aux engagements pris par le G7 à l’occasion du Sommet de l’OTAN à Vilnius en juillet 2023 ».

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Thomas DESZPOT

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