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L’acteur Roland Bertin lors de la remise du Molière du second rôle pour la pièce « Coriolan », le 26 avril 2009 à Paris.

« Je veux continuer à jouer jusqu’au bout comme on cherche l’ivresse, je veux mourir ivre de théâtre, ivre, ivre. Et mourir sur scène, ah oui, j’en rêve. » Le destin n’a pas exaucé Roland Bertin, qui s’est éteint doucement à Pont-L’Abbé (Finistère) le 19 février, à 93 ans, dans sa retraite bretonne, où il s’était réfugié depuis une bonne dizaine d’années, trop fatigué pour continuer à arpenter les plateaux.

Avec lui, le théâtre français perd un de ses plus grands acteurs, un des plus singuliers, chez qui l’alliance entre une gourmandise gargantuesque et une subtilité extrême formait un cocktail inédit. « Roland Bertin est comédien par toutes les fibres de son corps. Mais il est surtout l’un des très rares qui donnent accès à des gouffres métaphysiques », disait de lui Patrice Chéreau, dont il fut l’ami, et avec qui il joua dans plusieurs spectacles entrés dans la légende, de Peer Gynt (1981) à Quartett (1985).

Comme le pâtissier Ragueneau dans Cyrano de Bergerac – rôle qu’il interpréta dans le film de Jean-Paul Rappeneau, en 1990 –, il aurait pu dire : « C’est que je suis poète, aussi… » De cet ogre dansant, de ce Pantagruel en équilibre sur un fil de trapéziste, les amateurs de théâtre gardent au cœur nombre de souvenirs indélébiles, qu’il s’agisse de La Vie de Galilée, de Brecht, mise en scène par Antoine Vitez (1989), de son mémorable Sganarelle dans le Dom Juan mis en scène par Jacques Lassalle (1993), de ses arpentages shakespeariens – Titus Andronicus, Coriolan… –, ou de son long compagnonnage avec l’autrice Nathalie Sarraute.

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Appétit pour la tradition comme pour l’aventure

Le théâtre fut son royaume, mais il a aussi traversé de sa présence étrange, malaisante ou écorchée, des films dont il épousait la quête : Maîtresse, de Barbet Schroeder (1975), La Chair de l’orchidée (1975) ou L’Homme blessé (1983) de Patrice Chéreau, Monsieur Klein (1976) ou La Truite (1982), de Joseph Losey. Roland Bertin avait autant d’appétit pour la tradition que pour l’aventure, et cet appétit lui était venu très tôt, après une enfance sauvageonne dans les petits chemins creux du Morvan, au sein d’une famille de paysans et de tailleurs de pierre.

Né le 16 novembre 1930, le théâtre lui était tombé dessus à l’âge de 11 ans, comme une évidence : « Ma sœur aînée m’a emmené voir Polyeucte, de Corneille, à l’Odéon, et Le Malade imaginaire, de Molière, à la Comédie-Française, se souvenait-il lors d’une rencontre en 2004. C’est étrange, je me suis tout de suite senti chez moi. Le mystère du rideau rouge, d’abord… Et la musique des mots. Les mots, je me suis plongé dedans, j’ai passé ma vie avec eux… »

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