dimanche, avril 28

Lucas Barioulet : « Tout est décuplé sur le terrain, à commencer par les émotions »

Je prends cette photo en avril 2022, deux mois après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à Borodianka. Cette ville au nord de Kiev, occupée par des soldats russes pendant près d’un mois, est détruite à 90 %, et l’armée s’est livrée à des exactions envers les civils.

Lorsque j’arrive à Borodianka, je suis frappé par la désolation et le silence qui règnent. Je vois une femme marcher devant les ruines d’un immeuble, ses courses dans les bras. Elle s’adresse à moi en russe, je comprends quelques mots : en état de choc, elle cherche son chemin, perdue dans sa propre ville, dévastée par les combats.

Tout est à reconstruire. Mais, dans l’absurdité de la guerre, la vie continue, cette réalité à laquelle se rattachent tant bien que mal certains civils, qui sont les premières victimes des guerres. Enfants, personnes âgées… Ces personnes vulnérables restent difficiles et délicates à photographier, il faut souvent trouver la bonne distance, réfléchir à ce que l’on montre. Et parfois, savoir ne pas faire une image.

Je travaille à Borodianka avec Andreï, un jeune fixeur de l’est de l’Ukraine. Son rôle est essentiel : il m’aide à me déplacer, à traduire, à créer un contact avec les gens sur place. Il connaît certaines régions par cœur pour y avoir grandi. Pendant le trajet, depuis Vinnytsia, ville de l’Ouest alors épargnée par les combats, nous discutons, plaisantons, écoutons de la musique. Mais, lorsque nous arrivons dans les premières villes détruites, son visage se ferme. Il éteint la musique.

Nous écoutons en silence les témoignages glaçants des habitants. Au fur et à mesure, ce n’est plus moi qui lui demande de s’arrêter pour parler avec les gens. Il se rend devant les immeubles et maisons calcinées, demandant ce qu’il peut faire pour les aider. C’est son pays, son peuple, et tout cela l’impacte différemment de nous.

C’est ma deuxième venue en Ukraine. A 25 ans, c’est la première fois que je couvre un conflit de haute intensité comme celui-ci. Cela m’amène à réfléchir sur notre métier, notre engagement. Tout est décuplé sur le terrain, à commencer par les émotions.

C’est aussi une vraie guerre de l’information qui se joue sur place, entre les deux camps. Alors même que l’information est détournée, transformée, instrumentalisée, montrer la réalité de la guerre devient indispensable.

Lisez les autres témoignages de nos photographes ici.

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