samedi, mai 4

En une poignée d’années, le saut est vertigineux. Il n’y a plus grand monde pour dire qu’il faut dissocier l’homme de l’artiste. Plus grand monde pour invoquer la présomption d’innocence. L’artiste accusé de violences sexuelles n’est plus un artiste. Il est réduit au silence, effacé. Trop lente, impuissante face aux preuves évanouies, la case procès est également rayée. Le soupçon vaut culpabilité. Les rares voix discordantes sont inaudibles. Wajdi Mouawad, directeur du Théâtre de la Colline, à Paris, qui, en 2021, disait refuser de se substituer à la justice pour justifier la présence discrète du chanteur Bertrand Cantat dans un spectacle, est traité d’horrible sexiste.

Les temps changent et les Français suivent. Selon un sondage OpinionWay, publié dans La Tribune du 18 février, une personne sur deux estime qu’un cinéaste ou acteur mis en cause pour agression sexuelle doit être « interdit de travailler avant d’être jugé et condamné ». Et 67 % considèrent comme plutôt « un progrès » qu’une « personnalité publique » ne retrouve pas son métier après avoir purgé sa peine. Les plus jeunes sont les plus intransigeants.

Ce sondage révèle une alliance de circonstance entre une jeunesse progressiste, portée par la vague #metoo, qui lutte contre les conservatismes dans l’art, et une opinion très droitière, gourmande de voir tomber des figures de l’élite culturelle de gauche. Du reste, dans le même sondage, Marine Le Pen est considérée comme la responsable politique défendant le mieux les femmes.

Lenteur judiciaire

Les Césars, dont la cérémonie a lieu vendredi 23 février à l’Olympia, sautent aussi la case justice en imposant cette année la « non-mise en lumière » de figures du cinéma en attente d’un jugement. Et puis à quoi sert la justice si une plainte classée sans suite (le metteur en scène de théâtre Jean-Pierre Baro) ou une peine purgée (Bertrand Cantat) ne font pas sortir du purgatoire ? Seuls le temps étiré ou la mort favorisent un retour. Et encore. Il sera périlleux de monter une exposition des œuvres de Gauguin, indésirable pour avoir eu des relations sexuelles avec de toutes jeunes Tahitiennes.

Lire le décryptage : Article réservé à nos abonnés Picasso et Gauguin, sujets de controverse parmi les conservateurs de musées

Pour compenser la lenteur judiciaire, certains ont pensé à un ordre des artistes sur le modèle de celui des médecins – il n’est plus à l’ordre du jour. La sanction naît alors de l’action d’une multitude d’agents d’influence aux intérêts divers : victimes, médias, militantes, réseaux sociaux, corps intermédiaires (producteurs, patrons de lieux culturels), figures culturelles, ministère de la culture, public…

Il vous reste 58.8% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partager
Exit mobile version