mercredi, mai 8
Images au microscope électronique à balayage de bouches de nématodes « A. sudhausi », avec la dent dorsale en haut.

Ils ont beau mesurer moins de 2 millimètres de long, quand on les observe au microscope, les nématodes (vers minuscules) de l’espèce Allodiplogaster sudhausi ont tout du ver géant de la célèbre saga Dune. Avec leur bouche béante ornée de dents, ils se nourrissent de bactéries et d’autres espèces de nématodes plus petites, qu’ils trouvent sur les cadavres des insectes. Mais ce n’est pas pour leur air terrifiant que des scientifiques s’intéressent à ces vers.

En effet, ils sont capables de s’adapter à leur environnement de manière exceptionnelle. Si un nématode grandit dans un milieu riche en bactéries, il développera une petite bouche, adaptée à la consommation de ces dernières. S’il croît dans un habitat abondant en nématodes de petite taille, sa bouche sera plus grande, lui permettant de les dévorer.

Deux individus génétiquement identiques peuvent ainsi être dotés d’une bouche totalement différente. C’est un avantage de taille.

« Quand un ver pond sur un insecte qui vient de mourir, il y a de la nourriture à foison. Mais quelques jours plus tard, quand sa progéniture aura grandi, qui sait si le milieu sera riche en bactéries ou en nématodes. Etre plastique dans leur développement, cela leur permet de s’adapter à cette incertitude », explique Ralf Sommer, qui étudie ces vers depuis de nombreuses années dans son laboratoire de l’Institut Max-Planck de Tubingue (Allemagne). Cette plasticité développementale est présente chez d’innombrables espèces de plantes et d’animaux. Par exemple, chez les abeilles, selon la quantité de gelée royale qu’une larve reçoit, elle deviendra reine ou ouvrière.

Un stress alimentaire intense

C’est une autre découverte qui a valu à Ralf Sommer et son équipe une publication dans Science Advances le 10 avril. « On a découvert que cette espèce de nématodes n’avait pas seulement deux types de bouche, mais trois : on était passés à côté d’individus avec une bouche géante », raconte-t-il. Mis à part l’aspect peu ragoûtant de ces individus baptisés « tératostomates » (littéralement « bouche monstrueuse » en grec), l’histoire de la découverte est séduisante. Une étudiante a vu les boîtes où elle cultivait les nématodes se faire contaminer par un champignon verdâtre. En examinant de plus près les vers qui y vivaient, elle a compris que certains nématodes avaient une bouche bien plus grande que ce qui est habituel pour cette espèce.

Bien qu’ils développent cette bouche géante lorsqu’ils sont nourris à base de champignons, les tératostomates sont adaptés à un type de nutrition fort différent : ils sont cannibales ! Et ce n’est pas qu’ils ont perdu la tête : le régime à base de champignons leur apporte si peu de nutriments qu’ils sont soumis à un stress alimentaire intense. En réponse à cela, le développement de cette bouche démesurée leur permet de dévorer leurs congénères. Il arrive à de nombreux animaux d’avoir ce comportement quand la nourriture vient à manquer cruellement. Ce qui est exceptionnel ici, c’est qu’ils dévorent même des individus qui leur sont génétiquement identiques. En effet, la souche que les chercheurs étudient en laboratoire est composée d’individus partageant 100 % de leur information génétique, comme des clones ou des jumeaux. Une précédente étude avait pourtant démontré qu’ils étaient capables de distinguer leurs proches parents, mais la faim semble avoir eu raison de tout discernement.

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