L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
L’explosion du biopic a depuis longtemps dépassé le simple stade de l’effet de mode pour devenir un phénomène structurant de l’industrie cinématographique. Pas un pan de l’histoire culturelle n’est aujourd’hui laissé tranquille : il faut qu’il se fasse entièrement absorber, réécrit et moulé dans la forme du biopic. Il faut que le spectacle aspire tout, atteignant ainsi son stade cannibale. Chaque icône est vouée à être dévorée par son double, voit sa vie coulée dans l’exemplarité d’un scénario.
Il en est ainsi d’Amy Winehouse, tragiquement morte en 2011 d’une surdose d’alcool à l’âge de 27 ans. Le destin bref et accidenté de la chanteuse a été une première fois capturé dans Amy (Asif Kapadia, 2015), immense succès en salle tant l’imaginaire collectif n’aime rien de moins que les morts tragiques de ses idoles. Le documentaire se repaissait de la moindre image morbide de Winehouse, insistant sur sa boulimie, sa maigreur, ses concerts de plus en plus lunaires. Amy ou la brune Marilyn de notre temps, morte d’avoir été livrée corps et âme à la célébrité.
Il n’était pas aisé de passer après, qui plus est pour une fiction qui se doit de résoudre la question de l’incarnation et tenter d’insuffler un peu d’âme au cahier des charges déjà bien épais du biopic.
Passion destructrice
C’est de manière très étonnante ce que parvient à faire la photographe et réalisatrice Sam Taylor-Johnson (Nowhere Boy, le premier volet de Cinquante nuances de Grey) en concentrant son regard sur deux choses : la musique, d’abord et avant tout, celle qu’écoutait Amy Winehouse, celle qu’elle écrivait, dressant le portrait d’une jeune femme mélomane, sciée sur place par sa découverte du groupe de garage féminin The Shangri-Las.
Et puis l’amour, finalement indissociable de la musique. Back to Black se rive alors tout entier sur la passion destructrice entre la chanteuse et Blake Fielder-Civil, qui lui a inspiré ses plus belles chansons. Le film se refuse à distribuer bons et mauvais points, pour préférer figurer le délice d’une déchéance à deux, d’un amour qui consume et qu’on s’injecte à très haute dose. Sam Taylor-Johnson montre assez intelligemment la manière dont la compositrice s’est lancée à corps perdu dans un chagrin d’amour pour y puiser la matière de son album et chef-d’œuvre Back to Black. L’inspiration, souvent oblitérée dans le biopic, retrouve ici toute sa place : entre la splendeur de chansons comme Valerie et la médiocrité de l’amant, il y a tout un fossé où se loge précisément le vertige du geste artistique.
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