L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER
De plus en plus de jeunes femmes sont tentées par la chirurgie esthétique et acceptent volontiers de subir une injection de Botox ou d’acide hyaluronique, de gonfler leurs lèvres ou leurs fesses. Les filles de moins de 20 ans n’ont jamais autant souffert pour être belles. Est-ce à dire que toutes les admiratrices des sœurs Kardashian suivent un diktat patriarcal selon lequel une femme doit être désirable ou, au contraire, récupèrent-elles ces codes esthétiques pour en faire des armes d’intimidation ?
Marqué par cette ambivalence, Diamant brut, premier long-métrage d’Agathe Riedinger, sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes (fait assez rare pour être souligné), s’ouvre sur des plans qui ont valeur de programme. Liane, 19 ans, sourcils ultra-épais et poitrine refaite, se fabrique une allure de A à Z : faux ongles, extensions capillaires, customisation des talons aiguilles… Son contouring (technique cosmétique permettant de sculpter son visage avec des fards de différentes nuances de beige et de brun) dessine un masque tribal.
Obsédée par l’envie d’être remarquée, elle est convaincue que sa félicité viendra des strass et de la télé-réalité. Après avoir candidaté au casting de l’émission « Miracle Island », elle n’a plus qu’une idée en tête : décrocher le job. Pour augmenter ses chances, elle peaufine son sex-appeal de manière à faire grimper sa cote sur les réseaux sociaux.
Fétichisme
Se nourrissant de sa fascination pour les cocottes et demi-mondaines du Second Empire et de la Belle Epoque, qui utilisaient leurs charmes pour sortir de la misère et vivre de l’argent de leurs richissimes amants, et des stars de la télé-réalité qui jouent le jeu d’une féminité tapageuse, la réalisatrice emprunte la voie du film social. Caméra chevillée au corps de Liane (interprétée par la convaincante Malou Khebizi), elle saisit sa guérilla contre les idées reçues. L’action se déroule à Fréjus (Var), à quelques kilomètres de Cannes, entre le domicile de son héroïne en périphérie et une promenade de bord de mer qui constitue un lieu parfait pour parader.
Cela faisait bien longtemps qu’une œuvre dont la rigueur s’inspire du documentaire, où tout doit être authentique (les personnages, les attitudes, le vocabulaire…), n’avait si bien soigné sa forme. Ancienne élève de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, où elle a réalisé le court-métrage Belle et bête à la fois (2009), à partir d’un montage de photographies, Agathe Riedinger place la beauté, en particulier la manucure, du côté du fétichisme et de l’intime. Au-delà des décorations (chaque capsule de ses ongles contient un élément cher à Liane : un dollar, une Vierge, une étoile, le L de son prénom…), ses griffes aussi handicapantes que puissantes tintent comme un talon. Une menace aussi.
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