Un symbole de la répression iranienne. La lauréate du prix Nobel de la paix 2023, Narges Mohammadi, a violemment été arrêtée ce vendredi 12 décembre après avoir pris la parole lors d’une cérémonie en hommage à un avocat retrouvé mort quelques jours plus tôt.
Dans un « bref » échange téléphonique avec sa famille, la militante féministe de 53 ans a raconté avoir reçu des coups d’une « violence inouïe » avec une matraque « à la tête et au cou » lors de son interpellation, assure son comité de soutien précisant qu’elle « semblait souffrante ».
Narges Mohammadi, arrêtée pour la dernière fois en novembre 2021 et emprisonnée jusqu’à sa remise en liberté pour des problèmes pulmonaires en décembre 2024, a passé de nombreuses années derrière les barreaux mais n’a jamais cessé de militer pour les droits humains et la défense des prisonniers politiques. 37 autres personnes ont été arrêtées lors de cette cérémonie: toutes sont accusées selon le procureur d’avoir incité à chanter des slogans « contraires aux normes ». La militante affirme, elle, qu’elle est accusée de « coopérer avec le gouvernement israélien ».
Le régime iranien, déjà sous pression depuis le mouvement « Femme, vie, liberté » de septembre 2022, a intensifié sa répression contre sa population depuis la guerre des 12 jours avec Israël, en juin dernier. Une guerre déclenchée par des frappes israéliennes sans précédent sur le territoire iranien.
Le service des renseignements extérieurs israéliens, le Mossad, a orchestré une attaque surprise en infiltrant les plus hautes sphères du pouvoir, avec pour objectif affiché de priver le pays de sa capacité à se doter de l’arme nucléaire.
Des cibles militaires et nucléaires ont été visées, plusieurs dirigeants des Gardiens de la révolution – dépendants directement du guide suprême – ont été tués, dont les plus hauts gradés du pays, ainsi que des scientifiques du nucléaire. L’Iran a riposté en lançant des missiles et des drones sur Israël.
« Une répression terrifiante sous couvert de sécurité nationale »
Face à cet affront, le régime des mollahs au pouvoir depuis 1979 traque les potentiels espions. Et en profite pour réprimer toute opposition. « Les autorités iraniennes mènent une répression terrifiante sous couvert de sécurité nationale dans le sillage des hostilités de juin 2025 avec Israël », ont averti les ONG Amnesty International et Human Rights Watch dans un communiqué publié début septembre.
Pendant la guerre des 12 jours, du 13 au 24 juin, 21.000 personnes ont été arrêtées, selon la République islamique d’Iran. Depuis, ces arrestations perdurent. En septembre, Niloofar Azimi, 38 ans, nous glissait sur la table d’un café parisien une photo de sa mère, Fatemeh Zia’i, arrêtée le 7 août dernier au petit matin à Téhéran.
« Les services de renseignement iraniens sont venus dans notre maison, ils ont confisqué son téléphone portable, son ordinateur. Ils ont dit qu’ils voulaient ‘juste lui poser des questions’ et l’ont emmenée, sans papier officiel, sans rien », relate cette Iranienne, réfugiée en Finlande depuis 19 ans.
Sa mère de 68 ans, Fatemeh Zia’i, est une opposante politique et sympathisante de l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI), un mouvement d’opposition désormais conduit en exil par Maryam Radjavi et particulièrement ciblé par le régime. Après 40 jours passés dans un centre de détention des Forces spéciales antiterroristes, elle a été transférée à la tristement célèbre prison d’Evin, dans laquelle elle est toujours détenue.
« La situation est terrible en ce moment. On sait que les arrestations ont beaucoup augmenté », témoigne une autre famille iranienne voulant conserver l’anonymat. « Chez nous, on n’en a pas vécu parce que personne n’est sur les réseaux sociaux. La police arrête surtout les gens qui publient sur les réseaux sociaux », remarque-t-elle depuis Téhéran.
Tant sur les réseaux sociaux que dans les rues, la surveillance est constante. Certaines personnes arrêtées sont aussitôt relâchées, ou seulement quelques jours après, l’objectif étant de les intimider. « Il y en a qui ont par exemple écrit quelques tweets hostiles au régime via des VPN, on les arrête pour les intimider », nous décrit Amélie Chelly, chercheure associée à la Sorbonne-Nouvelle, spécialiste de l’Iran et de l’islam politique. « Il y en a d’autres qui sont emprisonnés, voire conduits dans les couloirs de la mort. »
Une « frénésie d’exécutions »
Depuis le début de l’année 2025, au moins 1.200 personnes ont été exécutées en Iran, selon un chiffre communiqué le 30 octobre par une commission d’enquête de l’ONU, dépassant ainsi le record de toute l’année 2024. En moyenne, quatre personnes sont exécutées par jour. En juillet, le nombre d’exécutions recensées était de 612. « Il est important de noter que ces chiffres constituent un minimum absolu. En raison du manque de transparence et des restrictions imposées aux rapports, ce chiffre pourrait être plus élevé », prévient l’ONG Iran Human Rights
« Depuis le soulèvement ‘Femme. Vie. Liberté’ en 2022, les autorités iraniennes instrumentalisent de plus en plus la peine de mort dans le but de répandre la peur au sein de la population, d’écraser la contestation et de punir les communautés marginalisées », alertait à la mi-octobre le directeur régional adjoint d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Hussein Baoumi.
Depuis la guerre des douze jours, au moins neuf personnes condamnées pour avoir travaillé avec le Mossad ont été exécutées. En octobre, une loi a été adoptée durcissant les peines pour toute collaboration avec Israël, les États-Unis ou tout « pays hostile ». « Toute assistance délibérée est condamnée au titre de corruption sur Terre », a précisé le Conseil des Gardiens, organe en charge de la supervision des lois. La « corruption sur terre » est un chef d’inculpation aux contours flous parmi les plus graves en Iran, passible de la peine capitale. Les opposants politiques sont généralement inculpés pour ce motif.
De nombreuses personnes sont aussi condamnées à mort pour des infractions liées aux stupéfiants. « Mais on ne sait pas dans quelle mesure ces condamnations sont utilisées pour atteindre les personnes qui constituent un danger aux yeux du pouvoir », souligne Amélie Chelly, autrice de Paris, 13 novembre 2045 (Editions du Cerf).
Ainsi, des milliers d’Iraniens se trouvent en ce moment dans les couloirs de la mort, après des procès qualifiables de simulacres de justice. Des tribunaux révolutionnaires fidèles au régime décident, souvent à huis clos, de la condamnation à mort d’une personne en quelques minutes. Les aveux forcés sont généralisés, tout comme la torture dans les geôles du régime islamique.
« Les États membres de l’ONU doivent répondre à la frénésie d’exécutions des autorités iraniennes avec la célérité qu’elle requiert », demande le responsable d’Amnesty International, Hussein Baoumi. « Cette année, les exécutions ont atteint une ampleur inédite dans le pays depuis 1989 ».
« Au total, elle a passé 13 ans en prison »
Consciente de cette situation, Niloofar Azimi craint pour la vie de sa mère, qui souffre de graves problèmes de santé. « À cause de la gravité des tortures qu’elle a subies » au cours de sa vie, « elle a développé une sclérose en plaques », et une infection pulmonaire, nous affirme-t-elle.
Engagée politiquement depuis sa jeunesse, Fatemeh Zia’i a été arrêtée pour la première fois en 1981 à l’âge de 24 ans et emprisonnée pendant cinq ans à la prison d’Evin.
« Au total, elle a été arrêtée sept fois. J’ai calculé, elle a passé 13 ans en prison », assure sa fille, ingénieure électricienne de sa formation, elle-même désormais engagée politiquement pour l’Iran depuis la Finlande.
Niloofar Azimi n’a pas eu de contact direct avec sa mère depuis 2017 et passe par des connaissances en Iran pour avoir de ses nouvelles. « Du fait de ses activités politiques, ma famille est sous surveillance permanente. Nos communications, nos appels téléphoniques sont contrôlés. En 2017, avec ma soeur, également exilée, nous avons remarqué que quand nous l’appelions, elle était arrêtée donc nous avons mis un terme à ces appels, même si c’est très dur », explique-t-elle. « Ce n’est pas une histoire personnelle, ni une histoire familiale. C’est un aperçu de ce qu’il se passe dans la société iranienne ».
En juillet, deux hommes Behrouz Ehsani, 69 ans, et Mehdi Hassani, 48 ans, ont été exécutés en raison « de leur affiliation présumée au groupe d’opposition interdit » l’OMPI, selon Amnesty international. La même organisation soutenue par Fatemeh Zia’i. L’ONG engagée contre la peine de mort à travers le monde recensait en juillet six autres hommes risquant d’être exécutés pour cette même raison, ou encore neuf personnes en raison de leurs liens avec le mouvement « Femme, Vie, Liberté ».
Quand « la République islamique se sent en danger elle réprime sa population »
Cette hausse des exécutions fait craindre une répétition des massacres de l’été 1988, lorsque des dizaines de milliers de dissidents politiques emprisonnés ont été exécutés de manière extrajudiciaire à la fin de la guerre Iran-Irak. Une agence de presse affiliée au régime de l’ayatollah Ali Khamenei, Fars News, a prôné dans un éditorial paru le 7 juillet dernier une « répétition de cette expérience historique couronnée de succès ».
« Alors que des mercenaires – iraniens ou étrangers – formés par les services israéliens et occidentaux transmettent des informations à l’ennemi (…), ils méritent aux aussi d’être exécutés comme en 1988 », peut-on y lire. Un ancien prisonnier, témoin des exécutions de 1988, redoute particulièrement cette redite de l’histoire.
« Chaque fois que le régime se sent en danger, il commet des massacres. Il a peur qu’un soulèvement soit fatal pour lui », nous explique d’une petite voix Mostafa Naderi, emprisonné entre 1981 et 1992 dans les deux grandes prisons d’Evin et de Ghezel Hesar.
Il a lui-même échappé de peu à l’exécution en 1988: un transfert à l’infirmerie après un malaise, en partie dû à la douleur de ses reins qui saignent à cause des tortures, lui a permis de sauver sa peau. Mostafa Naderi, sympathisant de l’OMPI désormais réfugié politique au Canada, est encore marqué par ces onze années passées dans les geôles iraniennes, entre tortures multiples, mises à l’isolement, cellules surpeuplées, privations de nourritures, fausse exécution…
« À partir du moment, où la République islamique se sent en danger elle réprime sa population. Depuis son existence, elle a toujours fonctionné de la sorte », indique également la chercheuse Amélie Chelly. L’Iran du guide suprême Ali Khamenei a été déstabilisé par l’opération israélienne en juin, et ne peut plus compter sur ses proxys – des groupes armés qui lui sont subordonnées comme le Hamas ou le Hezbollah libanais – également affaiblis par l’État hébreu dans le sillage de sa guerre menée à Gaza après le 7-Octobre.
En interne, l’Iran fait face à une importante crise économique et environnementale. L’inflation est importante, la monnaie nationale iranienne est en chute libre, les coupures d’électricité sont fréquentes, et une pénurie d’eau sévit, tant à cause du réchauffement climatique que des choix politiques.
Début novembre, le président iranien Massoud Pezeshkian a averti que la capitale Téhéran de 9 millions d’habitants pourrait devoir être évacuée en raison du manque d’eau. Le mécontement s’accroît dans la société iranienne. « Ma mère m’a toujours dit que la société iranienne était comme une bombe prête à exploser. Tôt ou tard, cela arrivera », espère Niloofar Azimi.
Article original publié sur BFMTV.com










