Quel est donc cet étrange objet ? Une bougie en fin de vie, portée par un chandelier à six pattes ? Que nenni. C’est une fleur, tout juste découverte dans les forêts tropicales humides de Malaisie par l’Institut de recherche forestière de ce pays, secondé de naturalistes locaux. La « bougie », en réalité, est un anneau jaune vif qui masque des étamines bleu-violet (non visibles) et qui surmonte un vase renflé et incurvé, le tube floral, couleur brun sépia ; le tout est entouré d’une couronne de six pétales – ou s’agit-il de sépales ? – brun foncé, très pointus. Soit une fleur décidément « très bizarre », s’étonne le botaniste Marc-André Sélosse, du Museum national d’histoire naturelle, à Paris.
Thismia malayana, c’est son nom, ne mesure pas plus de 2 centimètres de long. Elle vit généralement cachée dans la litière des feuilles, à proximité des racines des arbres ou de vieux troncs pourris. « Si elle semble si rare, c’est qu’elle ne sort que pour fleurir. L’essentiel de sa vie est souterrain », note le botaniste parisien.
L’avez-vous remarqué ? Rien de vert dans cette originale – et pas la moindre feuille ! Et pour cause : contrairement à la plupart des plantes, cette créature fantasque ne fait aucune photosynthèse, ce processus par lequel les végétaux fabriquent des sucres à partir de dioxyde de carbone, d’eau et d’énergie lumineuse. Thismia malayana, en réalité, est un pur parasite : elle siphonne sans vergogne les ressources des champignons qui colonisent ses fines racines rampantes. Les experts parlent de « plante mycohétérotrophe ».
« Truand du réseau mycorhizien »
Grâce à quoi, la maligne pousse en catimini dans les sous-bois denses où la luminosité est faible, et où ses fleurs sont pollinisées par de petits insectes. « Si cette fleur n’est pas du tout construite comme une fleur ordinaire, c’est qu’elle attire et leurre des pollinisateurs très inhabituels », relève Marc-André Sélosse : des moucherons qui pondent dans des champignons.
La plupart des plantes, on le sait, établissent une symbiose – nommée mycorhize – avec les champignons présents sur leurs racines. Généralement, le champignon prélève, en se faufilant dans les interstices du sol, de l’eau et des sels minéraux qu’il rétrocède à la plante. En contrepartie, celle-ci lui offre une partie des sucres issus de sa photosynthèse.
Mais quelle contrepartie peut offrir Thismia malayana au champignon, puisqu’elle ne fait pas de photosynthèse ? Aucune, en apparence. Elle ne fait que pomper les sucres du champignon ; sucres qu’il n’a pas lui-même fabriqués mais qu’il a récupérés des arbres environnants. De quoi qualifier ce tanagra végétal de « truand du réseau mycorhizien », souligne Marc-André Sélosse.
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