Ce dimanche 5 octobre, en Syrie, se tiennent les premières élections législatives depuis la chute de Bachar el-Assad. Pourtant, ce scrutin est controversé, car il n’y aura pas de vote populaire, à la place, les deux tiers des sièges de l’Assemblée du peuple seront attribués par des collèges électoraux. Tandis qu’un tiers sera nommé par le président par intérim Ahmed al-Charaa.
Après une campagne éclair de cinq jours, le temps du vote a sonné pour les grands électeurs syriens. Le comité électoral, quant à lui, tente de se justifier sur ce choix de scrutin indirect. Son porte-parole, Nawwar Nejmeh estime que des « millions de citoyens sont réfugiés et que beaucoup n’ont plus de carte d’identité » ce qui rend impossible la tenue d’élections directes.
De plus, les élections n’auront pas lieu dans toute la Syrie. Les autorités ont annoncé le report du vote dans deux villes du nord-est, Raqqa et Hassaké, qui échappent au contrôle du pouvoir de Damas. À ce jour, pas de nouvelle date de vote pour ces circonscriptions. Le comité électoral explique que leurs sièges seront donc vacants jusqu’à ce qu’« un environnement sûr permette le déroulement des élections ».
Les 210 députés élus aujourd’hui siègeront pendant trente mois et réhabiliteront l’Assemblée du peuple, qui était sous l’influence de Bachar el-Assad jusqu’à sa chute. Ce vote est particulièrement scruté par les Syriens qui y voient une vraie chance d’élire des députés représentatifs de la population. En particulier, car lors des dernières élections législatives, en 2024, le Baas de Bachar el-Assad et ses partis alliés avaient remporté la majorité des sièges.
Un président en quête de légitimité
Ce sont environ 6 000 grands électeurs qui vont élire 140 députés. Les 70 autres sont nommés par le président al-Charaa lui-même. Un système qui est temporaire selon le gouvernement syrien. Pour Thomas Pierret, chercheur à l’Université d’Aix-Marseille et spécialiste de la Syrie, c’est un mode de scrutin élitiste qui marque une rupture avec le régime d’el-Assad. « Je pense que ça arrange quand même bien le nouveau pouvoir de procéder avec un système électoral qui est en fait qui fonctionne sur un modèle très élitiste en réalité, puisqu’en fait, on va, on va nommer des gens dans la société qui sont eux-mêmes des élites », souligne-t-il au micro d’Antoine Ellis du service international de RFI.
« Il y a de tout. Il y a des hommes de religion, des artistes, des intellectuels, toutes sortes de personnes qui vont elles-mêmes nommer des députés, il faut quand même insister quand je parlais d’élitisme. Les députés sont divisés en deux catégories, [c’est indiqué] dans le texte constitutionnel qui s’appelle la Déclaration constitutionnelle de mars dernier. Les deux catégories, ce sont les personnes éduquées et les notables. Pour rappel, sous le Baas, les deux catégories de députés, c’étaient les ouvriers et les paysans. Donc, on n’est pas, évidemment, dans le même logiciel politique », résume-t-il.
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La diversité de la nouvelle assemblée pourrait paradoxalement renforcer le pouvoir présidentiel, en quête de légitimité. « Je connais des personnes à qui on a demandé de se présenter, qui sont idéologiquement, complètement à 180 degrés, de monsieur al-Charaa, gauchiste, athée, artiste… Mais l’idée, bien sûr, c’est que faire rentrer ce genre de personne dans le Parlement, ça peut être potentiellement une manière de les domestiquer », estime Thomas Pierret.
« C’est de l’ordre de leur donner un intérêt finalement à la survie du régime et de passer de la cooptation », poursuit-il. « Cela donne l’image finalement d’un régime qui est beaucoup plus crédible, parce que quand vous en arrivez à être soutenu par, pas seulement par les partisans du mouvement d’al-Charaa depuis dix ans ou quinze ans, mais par des gens qui, a priori, on ne peut pas du tout les soupçonner de sympathies islamistes ou que sais-je, et c’est davantage de crédibilité pour le nouveau pouvoir. »
Un scrutin qui peine à mobiliser
Pour les Syriens, c’est un scrutin indirect, inédit, qui désarçonne aussi par sa complexité, rapporte notre correspondante à Damas, Manon Chapelain. À quelques encablures de l’Assemblée, Yazan, 30 ans, se balade sans quitter des yeux le bâtiment, où siègeront de nouveaux parlementaires.
« Je suis si excité. J’espère que l’on pourra enfin avoir des représentants qui nous ressemblent. Surtout, nous, les jeunes, qui rêvons d’une nouvelle Syrie, qui rêvons de démocratie. Nous espérons que nous pourrons faire porter notre voix d’une manière ou d’une autre. » Yazan, depuis toujours intéressé par la politique, a longtemps pensé qu’il pourrait lui-même voter. Il y a quelques jours, il a finalement compris que les élus seront nommés par des comités. « C’est sûr… Ce n’est pas vraiment démocratique », concède-t-il.
À quelques pas de là, dans le café Rawda, connu pour être l’un des poumons de la vie politique syrienne, même interrogation, même scène. « Je sais qu’il y a des élections, mais sincèrement, je ne sais pas grand-chose de plus… Quoi qu’il arrive, ce salaud d’el-Assad est parti. Je pense que nous devons donner une chance à ce gouvernement. Nous ne pouvons pas juger sans avoir essayé », pense un habitant.
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Après un demi-siècle de dictature, après des décennies de vie politique en berne, peu de Syriens se disent concernés. Le processus électoral est inédit en Syrie, peut-être trop complexe. « Beaucoup de gens nous parlent du manque d’informations, mais nous sommes toujours présents, sur Internet, dans les médias, nous nous sommes énormément exprimés sur ces élections et nous continuons à le faire », souligne Lara Aizouqi, membre du haut comité électoral. « Après toutes ces années, nous savons qu’en Syrie certaines personnes peuvent simplement être mal informées ou désintéressées par les affaires politiques. »
Certains observateurs craignent un manque de représentativité. Le pouvoir central a décidé de reporter les élections à Soueïda et dans le nord-est à dominante kurde, deux zones sur lesquelles il n’a toujours pas repris le contrôle.
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