« Un jardin pour royaume », de Gwenaële Robert, Les Presses de la Cité, 208 p., 20 €, numérique 14 €.
Au Musée Carnavalet, à Paris, on trouve, au premier étage, dans la galerie Raguenet, une toile du XVIIIe siècle de Charles-Léopold Grevenbroeck. Elle représente une Vue de Paris depuis les hauteurs de Belleville. Une campagne de boqueteaux, de vergers, de petites parcelles, avec un moulin, une ferme ou plutôt une auberge et des gens attablés. Une route crayeuse descend vers les faubourgs. Des paysans poussent leurs bêtes. La ville est au loin, les tours de Notre-Dame en halo dans le brouillard qui monte du fleuve. Les lecteurs des Rêveries du promeneur solitaire, de Jean-Jacques Rousseau, reconnaîtront un peu dans ce paysage d’époque celui de la fameuse deuxième promenade du philosophe parti herboriser un après-midi de 1776. On aurait envie un instant de fermer les yeux et de les rouvrir, une seule fois, sur ce décor d’avant. Comme s’il était possible de suspendre le temps. Mais plus rien n’est semblable. Tout ou presque, maintenant, est bouleversé, recouvert, perdu, effacé.
Dans le nouveau livre de Gwenaële Robert, il est question de Rousseau, de ses méditations, des rêveries et de la solitude. De paysages et d’émotions retrouvés. Du souvenir des lieux et des instants, d’êtres chers. De la fuite du temps. Un jardin pour royaume est la chronique intime d’un voyage en étrange pays, dans la friche et les taillis d’une terre d’enfance trop longtemps délaissée. Redécouverte et révélée.
On s’oublie sans même s’en rendre compte. Il y a toujours plus important. En l’espèce, ce sont les enfants. La narratrice du roman a consacré aux siens plus de vingt ans d’une vie très ou trop occupée. Et voilà qu’ils sont partis, la laissant dans une forme de vide un peu pathétique. Alors, pour ne pas sombrer dans un ennui délétère, une dépression convenue de retour d’âge, elle décide de reprendre sa thèse universitaire abandonnée « sur l’influence de la botanique dans les derniers écrits de Rousseau ». Elle n’est pas vraiment dupe du prétexte. Il se trouve juste que l’auteur des Confessions a vécu les derniers mois de sa vie chez le marquis de Girardin, à Ermenonville. Le domaine est à seulement une heure de marche, entre champs et forêt, du petit village du Valois où elle a grandi. Aller à Ermenonville (Oise) travailler sur Rousseau, c’est entrer en connivence. Mettre ses pas dans des sentiers de mémoire, là où tout se rejoint et se confond.
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