Antoine Reinartz prévient : il n’est pas concis. L’heure consacrée à cet apéro aurait effectivement pu s’étirer bien au-delà du raisonnable, tant l’acteur aime à prendre des chemins de traverse pour raconter ce qui l’a mené de sa campagne natale au bar de la rue des Martyrs où il nous donne rendez-vous. Il est ici chez lui, salue l’équipe du soir − celle qu’il connaît le mieux − et confie que la cuisine du bistrot lui sauve la mise les jours où il n’y a rien dans le frigo. Ce qui arrive de plus en plus souvent à ce jeune père de 39 ans, surtout depuis son rôle de procureur teigneux dans Anatomie d’une chute, Palme d’or à Cannes en 2023.
Au même moment, il était l’avocat dans Tapie, sur Netflix, et, de fil en aiguille, le public s’est familiarisé avec le visage gamin et le timbre chaleureux de cet acteur ultratechnique dont l’affabilité dissimule la nervosité de ceux qui savent qu’ils sont à un tournant de leur carrière. Addiction au sucre oblige, il commande un lait fraise.
A peine mouillé alors qu’il tombe des trombes d’eau dehors, on lui fait remarquer qu’il est bien habillé, une façon d’enchaîner sur Robinson, son personnage de la série La Maison (sur Apple TV+), héritier turbulent d’une maison de couture en pleine tourmente économique et artistique. Il sourit, un poil flatté, mais confie avoir longtemps eu un rapport distant à la mode. « Quand j’étais jeune, je pensais qu’il fallait avoir tout dans l’esprit, rien dans les apparences. Finalement, ce n’est pas très sain… On a quand même une enveloppe corporelle. Se sentir bien, dans la séduction, c’est aussi important, même si un jour sur deux je suis en pyjama ou en tenue de sport dans la rue. »
Travailler le corps reste un projet en construction pour cet acteur mis, dès ses débuts, dans une case d’intello. « Il n’y avait aucune séduction chez moi, s’amuse-t-il. Aujourd’hui, j’ai envie, à l’écran, d’être le petit ami de Marion Cotillard et qu’on y croie. » Malgré les grands écarts capillaires (boule à zéro chez Justine Triet, touffe garnie dans Tapie) et le yoyo sur la balance − en cet après-midi de septembre, il semble peser 10 kilos de moins que dans La Maison −, il s’assume plus technique française, plaisir du texte, que méthode Actors Studio. « En France, dès que ça sent un peu trop la construction, ça ne marche pas. »
Refus des dogmes
Quand on le questionne sur sa capacité à passer facilement d’un rôle hétéro à un rôle gay, celui qui a reçu le César du meilleur acteur dans un second rôle pour 120 battements par minute, le beau film de Robin Campillo sur les premières années d’Act Up en France, refuse tout dogmatisme. « A l’écran, il y a des enjeux physiques importants. A un moment, il était important que ce soient des personnes trans qui jouent des personnes trans… On voudrait que les minorités puissent tout jouer, mais pas l’inverse. Ce n’est pas possible, et surtout on s’en fout ! L’important, c’est le résultat… Si on se prive de cette fluidité-là, on se prive de tout, on se prive de Timothée Chalamet, de Paul Kircher… »
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