Son arrestation a déclenché une vague de contestation en Turquie. Un juge a ordonné, dimanche 23 mars, l’incarcération du maire d’opposition d’Istambul, Ekrem Imamoglu, pour « corruption », a annoncé l’un de ses avocats à l’Agence France-Presse (AFP). Egalement poursuivi pour « terrorisme », M. Imamoglu, principal rival du président Erdogan, avait été amené samedi soir avec 90 de ses coaccusés au tribunal stambouliote de Caglayan, protégé par un très important dispositif policier, avant d’y être entendu à deux reprises dans la nuit.
Selon ses avocats, son audition dans le volet « terrorisme » de l’accusation, avait duré « six heures ». « M. Imamoglu a nié toutes les charges retenues dans un document de 121 pages », avaient-ils fait savoir samedi soir, déplorant que les droits de la défense ainsi que « le droit à un procès équitable [aient] été violés ».
Dans le même temps, les soutiens d’Ekrem Imamoglu ont envahi la rue samedi pour le quatrième soir consécutif, déferlant par dizaines de milliers devant l’hôtel de ville d’Istambul. La foule est apparue encore plus nombreuse que les jours précédents, prenant d’assaut les rames de métro et les abords de l’hôtel de ville, congestionnés, en agitant des drapeaux et des pancartes exprimant sa colère : « Les dictateurs sont des lâches ! », « L’AKP [le parti au pouvoir] ne nous fera pas taire ».
Prologation de l’interdiction de rassemblements
Depuis mercredi, la contestation déclenchée par son arrestation s’est répandue à travers la Turquie, atteignant une ampleur inédite depuis le grand mouvement de contestation de Gezi, en 2013, parti de la place Taksim d’Istanbul. Des rassemblements ont eu lieu dans au moins 55 des 81 provinces turques, soit plus des deux tiers du pays, selon un décompte effectué samedi par l’AFP. Ces manifestations ont débouché à plus de 350 arrestations dans au moins neuf villes du pays, selon les autorités.
Samedi, des manifestants ont passé la nuit à l’intérieur de la mairie, certains tentant de trouver le sommeil sur des chaises disposées dans le hall du vaste bâtiment en attendant d’être fixés sur le sort du maire, a constaté un photographe de l’AFP. Pour tenter de prévenir des troubles, le gouvernorat d’Istanbul a prolongé l’interdiction de rassemblements jusqu’à mercredi soir et annoncé des restrictions d’entrée dans la ville aux personnes susceptibles de participer à des rassemblements, sans préciser comment il les mettrait en oeuvre.

L’accusation de « soutien à une organisation terroriste » contre l’élu de 53 ans, figure du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), principale force d’opposition, fait redouter à ses soutiens son remplacement par un administrateur nommé par l’Etat à la tête de la plus grande ville du pays s’il est incarcéré.
Selon une déclaration transmise, samedi, par la municipalité de la métropole turque, le maire d’Istanbul a dénoncé devant la police des « accusations immorales et sans fondement (…), allant des rapports fabriqués au calendrier des enquêtes, [qui] visent à saper ma réputation et ma crédibilité ». « Ceux qui sont derrière cette stratégie devront répondre de leurs actes devant les tribunaux. Je porterai plainte contre les personnes et les institutions impliquées », a-t-il prévenu.
La primaire de son parti maintenue dimanche

Paris et Berlin ainsi que les maires de plusieurs grandes villes européennes avaient également condamné dès mercredi l’arrestation de M. Imamoglu. En réponse à la contestation, le président Erdogan, qui a lui-même été maire d’Istanbul dans les années 1990, a juré samedi de ne pas céder à la « terreur de la rue ».
Newsletter
« A la une »
Chaque matin, parcourez l’essentiel de l’actualité du jour avec les derniers titres du « Monde »
S’inscrire
Ekrem Imamoglu, 53 ans, est devenu la bête noire du président turc en ravissant en 2019 la capitale économique du pays au Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) du chef de l’Etat, qui gardait la main sur Istanbul avec son camp depuis vingt-cinq ans.
L’édile d’opposition, triomphalement réélu l’an passé, devait assister initialement dimanche à son investiture en tant que candidat de son parti pour la prochaine présidentielle, prévue en 2028. Le CHP a décidé de maintenir l’organisation de cette primaire, qui a démarré à 8 heures heure locale (6 heures à Paris), et a appelé tous les Turcs, même non inscrits au parti, à y prendre part.