FRANCE CULTURE – DIMANCHE 17 NOVEMBRE – 17 H – PODCAST
« Je crois qu’écrire, c’est maîtriser la situation. Si je n’écrivais pas, je serais peut-être un assassin. Ou un saint. » Ainsi parlait Pierre Guyotat, sculpteur de langue (1940-2020) dans une archive diffusée dans la belle émission que Bruno Baradat lui consacre qui est et tout à la fois l’évocation d’un écrivain et le portrait d’un homme sensible que son amie Marianne Alphant, journaliste à Libération, décrit comme timide − même si sa taille et son crâne rasé faisaient, se souvient-elle, que « les gens pouvaient avoir peur de lui ».
Pierre Guyotat naît en 1940 dans un milieu bourgeois − une « bourgeoisie d’honneur », pour laquelle la chose publique et le bien sont des valeurs essentielles. Les récits d’une tante, déportée à Ravensbrück, lui donnent très tôt une conscience aiguë de ce qu’est la souffrance, et les images de retour des camps seront le « trauma premier », selon Donatien Grau, philologue et spécialiste de l’œuvre de Pierre Guyotat.
Conscience de la violence
Agé de 18 ans à la mort de sa mère, il fuit à Paris, avant d’être appelé en Algérie. A son retour, il a l’idée d’un grand livre − non pas directement sur cette guerre mais dans lequel le choc algérien serait brassé. Et Marianne Alphant de souligner combien la conscience de la violence, de la brutalité de ce que l’être humain est capable de faire fut déterminante pour Pierre Guyotat, qui écrira dans ses carnets de bord : « Rien n’est pur. » En 1967 paraît donc Tombeau pour cinq cent mille soldats (Gallimard), dont la lecture ne laisse pas indemne. Scènes d’égorgement, de décapitation, d’inceste : on y lit − on y voit − tout.
Trois ans plus tard en 1970, la parution d’Eden, Eden, Eden confirme le talent de Guyotat, largement défendu par Philippe Sollers, Michel Leiris, Roland Barthes − ce qui n’empêche pas le livre d’être interdit par le ministère de l’intérieur à l’affichage, à la publicité et à la vente pour mineurs. Est ensuite évoqué un autre épisode traumatique : le viol en réunion dont Pierre Guyotat fut victime, alors qu’il n’avait que 7 ans, dans une salle de classe. L’écriture lui apparaît alors comme « la seule surface vivante sur laquelle aimer sans violer ».
Plusieurs dépressions et un coma manquent de l’emporter en 1981. Cette expérience proche de la mort, Pierre Guyotat la raconte en 2006 dans Coma, paru dans la si belle collection « Traits et portraits » dirigée par Colette Fellous au Mercure de France, et que cette émission, très bien tricotée (Cécile Laffon est à la réalisation) nous donne envie de relire.
« Toute une vie : Pierre Guyotat (1940- 2020) », podcast de Bruno Baradat, réalisé par Cécile Laffon (Fr., 2024, 58 min). A retrouver sur le site de France culture et sur toutes les plateformes d’écoute habituelles.