L’anthropologue et directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) Agathe Euzen souligne que gérer la ressource demande d’agir à l’échelle des territoires, en intégrant des notions de durabilité, de solidarité, d’équité et dans la transparence.
La prise de conscience du changement climatique et de son effet sur le cycle de l’eau semble récente en France. La sécheresse de 2022 a-t-elle marqué les esprits ?
Effectivement, à cette période-là, les gens ont vécu la situation de manière sensible. Les vagues de chaleur, mais aussi les épisodes d’inondations font comprendre que l’on ne peut plus traiter l’eau comme on avait coutume de le faire. A l’échelle des territoires, des maires refusent désormais de signer des permis de construire, considérant qu’ils ne pourront pas fournir un service public d’eau de qualité par manque de ressource. C’est très nouveau, une décision courageuse à la mesure des enjeux.
Cet article est tiré du « Bilan du Monde, édition 2024 ». Ce hors-série est en vente dans les kiosques ou sur le site de notre boutique.
On a craint que les conditions météorologiques de 2022 ne se prolongent en 2023. Elles ont été moins sévères en fait, laissant penser que la situation n’était pas si catastrophique que cela, que la sécheresse n’allait pas se reproduire. Et on s’est rassuré. Car tout cela touche à la peur, à des choses extrêmement profondes : c’est insupportable d’imaginer que l’on va manquer d’eau. Au demeurant, il reste une méconnaissance du grand cycle de l’eau et du fonctionnement des réseaux d’eau potable. Certains s’étonnent de se voir couper l’eau alors qu’il en reste dans les rivières et, inversement, sans mesurer que celle-ci provient de 50 kilomètres plus loin, où la situation peut être différente de chez soi.
Politiser le sujet, comme l’a fait Emmanuel Macron en annonçant son plan « eau » en mars devant le lac de Serre-Ponçon qui avait beaucoup baissé à l’été 2022, est-ce une bonne stratégie ?
Je suis partagée. Si les responsables politiques ne le faisaient pas, on le leur reprocherait. Mais, d’un autre côté, en faire trop, rendre le sujet trop politique, peut conduire à nous déresponsabiliser. Car beaucoup d’autres plans ont été lancés : énergie, logement, pauvreté, alimentation, vélo, transition écologique, etc. Est-ce que celui sur l’eau ne perd pas de sa valeur ? J’ai moi-même coanimé un groupe de travail sur la problématique de sobriété confiée au comité national de l’eau. Je n’ai pas retrouvé tous les axes que nous avions dégagés dans la rédaction finale. En réalité, réduire nos prélèvements et notre consommation demanderait d’aller plus loin, de remettre en question notre modèle de société. On le fait rarement.
Il vous reste 80% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.