La mission, conduite par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, Ocha, n’a duré que quelques heures. Objectif : vérifier si les conditions de sécurité permettent enfin le retour de l’aide humanitaire, bloquée depuis des mois, alors que des témoignages font état d’exécutions, de violences sexuelles et d’exactions contre des civils, notamment depuis que la ville a été conquise par les rebelles. Outre les autorisations, les déplacements de l’équipe sont également limités par l’état du terrain après deux années de combats et par la crainte d’y trouver des mines ou des munitions non explosées.
Cette mission n’avait pas pour objectif de documenter des violations des droits humains, mais bien d’obtenir un accès humanitaire, explique Denise Brown, même si sur ce volet, le travail des enquêteurs et experts de l’ONU, qui préparent un rapport sur les atrocités à El-Fasher, se poursuit.
Denise Brown, coordinatrice humanitaire de l’ONU au Soudan, décrit une ville d’El-Fasher en ruine, et des survivants qui s’y trouvent encore dans des conditions indignes.
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« Ce que nous avons vu ne représente qu’une image très partielle de ce qu’il reste »
RFI : Qu’avez-vous pu observer au cours de votre visite à El-Fasher ?
Denise Brown : Nous avons pu visiter l’hôpital saoudien, dont nous avions beaucoup parlé en octobre, parce que l’Organisation mondiale de la santé avait fait état de massacres de masse dans cet hôpital. Le bâtiment existe donc toujours, mais il ne fonctionne pratiquement pas. Il y a très, très peu de patients, mais au moins la structure est encore là. Il semble y avoir du personnel médical — je dis semble parce que, vous savez, nous ne sommes pas en mesure de vérifier qu’il s’agit réellement de personnel médical — et il n’y a plus de fournitures médicales.
Il reste des civils à El-Fasher. Je ne donnerai pas de chiffre, parce que nous n’avons pas visité toute la ville. Avant la guerre, c’était une grande ville de plus d’un million d’habitants. Nous ne savons donc pas combien de personnes y vivent encore, mais il y a bien des gens sur place. Nous pensons aussi que des personnes sont détenues, mais nous n’avons pas eu accès à elles.
Dans quelles conditions vivent ces survivants ?
Il s’agit principalement de personnes qui ont fui d’un quartier à un autre à cause des combats intenses. Elles vivent donc dans des bâtiments collectifs. Ce n’est pas un camp comme à Tawila, avec des centaines de milliers de personnes et des tentes partout. Non. Il s’agit de petits groupes de familles et de membres de la communauté – une centaine ici, une centaine là – vivant ensemble dans des bâtiments abandonnés. Les gens s’installent avec ce qu’ils trouvent pour s’abriter : une couverture, un morceau de plastique. Il n’y a ni toilettes, ni eau courante.
Les groupes sont peu nombreux, mais encore une fois, ce que nous avons vu ne représente qu’une image partielle – très partielle – de ce qu’il reste. Cette image est totalement incomplète, et nous devons la compléter le plus rapidement possible. Le monde devrait davantage s’y intéresser, mais honnêtement, parfois, on a l’impression que le monde n’est pas assez horrifié par ce qui se passe au Soudan.
En novembre, l’ONU avait confirmé l’état de famine à El-Fasher. Ces survivants ont-ils de quoi manger ?
Nous avons vu un seul petit marché encore en activité dans une ville qui comptait autrefois un million d’habitants. On y trouvait surtout des produits que l’on verrait dans n’importe quel marché du Jebel Marra à cette période de l’année : des tomates, des oignons, des pommes de terre. Il y avait aussi de très petits paquets de riz et de biscuits.
En octobre, les informations dont nous disposions indiquaient qu’un kilo de riz se vendait à l’équivalent de 100 dollars américains. C’est pour cela que les quantités sont si petites. Mais qui peut les acheter ? Il n’y a tout simplement plus d’économie fonctionnelle. Rien n’entre, rien ne sort. Je ne sais donc pas à quel point ce marché est réellement utilisé, mais il y avait au moins un marché encore ouvert.
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