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Rituel de début d’été : aller au Domaine de Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher). Chaque année, depuis 2008, il présente une nouvelle Saison d’art, de nouvelles sculptures et installations dans le parc, et une ou plusieurs expositions dans le château. Chantal Colleu-Dumond, qui en est la directrice, paraît infatigable dans cet exercice, qui n’est pas simple. Il lui faut en effet trouver des artistes qui sachent tirer parti des particularités du lieu, vastes pelouses, grands arbres, buissons, plates-bandes de fleurs ; ou prendre place dans d’anciennes écuries ou dans les salles basses du château, ce qui est aussi difficile.
Cette année, Miquel Barcelo a pris possession d’un bosquet, dans lequel, non sans quelques difficultés techniques, il a posé une céramique monumentale en forme de gueule de monstre ou de grotte. Les dents sont aussi des concrétions et le gosier devient paroi sur laquelle sont dessinées des figures animales et humaines en style préhistorique. Une langue s’avance hors de la gueule, à moins que ce ne soit pas une langue mais une proie en partie dévorée. L’allusion aux sculptures maniéristes des jardins du château de Bomarzo en Italie est explicite, mais tirée du côté d’un fantastique mi-sérieux, mi-grotesque qui est caractéristique de Barcelo.
Parmi les animaux symboliques de Bomarzo se trouve une tortue géante portant sur sa carapace une statue de la Renommée. Celle que Gloria Friedmann a modelée dans une terre sombre est un peu moins grande. Elle soutient un globe terrestre en équilibre, mais un équilibre sur le point de rompre. Et si tel était le cas, si le globe tombait, tomberait avec lui celui que l’artiste appelle Le Locataire : un homme assis les mains dans les poches de sa veste et qui regarde devant lui, dans la direction où il est près de chuter. Le symbole est clair. La planète Terre va très mal et l’humanité pourrait disparaître, l’ayant ravagée.
Apparitions funestes
A la fin du XVIe siècle, quand le parc de Bomarzo fut créé, cette peur n’existait pas. Aujourd’hui, elle est partout. Dans l’œuvre politique de Friedmann donc, mais aussi dans les deux bronzes de Prune Nourry, dessins des artères et veines du corps humain et de branches confondues, d’abord obtenus en tressant de la corde, puis fondus en métal. Ces apparitions se voient de loin sous les arbres, apparitions funestes.
Celles que Pascale Marthine Tayou a cachées dans une grange sont aussi peu encourageantes. Ce sont des branches, de nouveau, réelles celles-ci, suspendues à la charpente. Y sont enfilées par le goulot des dizaines de bouteilles en plastique ramassées par l’artiste à Yaoundé. Il les a parées de taches de couleur, si bien que, de loin, on dirait des fleurs ou des fruits. De près ce ne sont plus que des débris. L’œuvre s’intitule Oxygen, titre là encore symbolique, comme l’est celui de l’installation d’Olga Kisseleva : EDEN. Pour elle, ce n’est pas seulement le nom du paradis perdu, mais aussi le sigle de son projet Ethics and Durability for an Ecology of Nature. Autour du tronc d’un grand cèdre, elle a placé, tel un bracelet, un bandeau de systèmes électroniques, l’un pour capter les signaux produits par l’arbre, l’autre pour les transmettre. Se manifeste de cette façon savante le désir de retrouver une communication entre la nature et l’homme, dont celui-ci apprendrait bien plus qu’il ne l’imagine.
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