Luigi Comencini (1916-2007) occupe une place à part dans le paysage du cinéma italien. Voilà en effet un cinéaste et téléaste prolifique, qui a traversé la seconde moitié du XXe siècle en entretenant un rapport oblique à la modernité. Ici donnant à la comédie certains sommets de cruauté (L’Argent de la vieille en 1972, Le Grand Embouteillage en 1978), creusant là une veine sensible autour de l’enfance et de l’adolescence (L’Incompris en 1966, Casanova. Un adolescent à Venise en 1969, Les Aventures de Pinocchio en 1972), il a navigué parmi les genres populaires en tenant dans la même ligne de mire attentes du public et exigences de mise en scène.
Ses films furent assez nombreux pour que certains restent encore inédits en France, tel ce petit bijou de 1969, Sans rien savoir d’elle (Senza sapere niente di lei en version originale), passé en son temps totalement inaperçu, et que Les Films du Camélia ont le flair d’exhumer à partir d’une copie neuve fraîchement restaurée par la Cinémathèque de Bologne.
Le film se montre tout du long assez insituable sur l’échelle du genre, ne relevant ni complètement de l’enquête policière, ni complètement du mélodrame amoureux, mais un peu des deux, et plus sûrement encore d’un constant brouillage d’une forme par l’autre, afin de maintenir jusqu’au bout le doute sur ses personnages.
Manipulation bilatérale
Nanni Bra (Philippe Leroy), enquêteur en assurances à Milan, travaille sur la mort suspecte d’une vieille femme quelques heures avant l’approvisionnement d’une importante prime, et flaire là quelque détournement d’héritage. Cherchant à rassembler ses cinq enfants, il court encore après la benjamine, Cinzia (Paola Pitagora), une chipie évadée du nid, menant une existence nomade. Il la prend en filature avant de l’aborder, se faisant passer pour un autre, et de l’héberger chez lui. S’engage alors entre les deux une histoire d’amour vécue sur le mode de la syncope, non sans qu’il puisse tout aussi bien s’agir d’un jeu de masques, d’une manipulation bilatérale.
Sans rien savoir d’elle s’apparente, quelque dix ans après et en mode mineur, à un petit Vertigo de poche (le célèbre thriller d’Alfred Hitchcock datant de 1958), histoire d’une filature amoureuse où le détective, sujet malade du regard, s’aliène dans son objet, une femme indiscernable. L’intrigue se noue dans un Milan grisailleux d’une terne modernité, étouffant dans l’œuf tout motif de sublimation. Comencini organise entre ses personnages une sorte de tête-à-tête virant insidieusement au bras de fer mental, quête de reconnaissance ou pêche aux aveux qui ne veut pas dire son nom.
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