Dans les années 1980, le cinéma britannique répond à l’assaut thatchérien en renforçant sa fibre sociale, qui se partage entre drames réalistes (My Beautiful Laundrette, Stephen Frears, 1985) et comédies douces-amères (High Hopes, Mike Leigh, 1988). Il existe toutefois, au milieu du tableau, une autre sorte de trublion, un dénommé Alan Clarke (1935-1990), qui va prendre les choses autrement. Parler des classes populaires, de la misère sociale, de l’ennui périurbain, certes, mais sans pincettes et en visant en dessous de la ceinture.
C’est précisément ce à quoi Clarke s’est essayé avec Rita, Sue and Bob Too ! (1987), comédie potache, arlequinade râpeuse, et l’un de ses rares longs-métrages tournés pour le cinéma, qui ressort en salle en copie restaurée. Clarke, filmeur rentre-dedans, a en effet œuvré la majeure partie de sa carrière au sein de la BBC, chaîne publique et véritable institution au Royaume-Uni, à laquelle il a donné de percutants brûlots comme Scum (1979), Made in Britain (1982, avec un tout jeune Tim Roth) ou encore Elephant (1989), qui gagnent à être connus.
Adapté d’une pièce d’Andrea Dunbar (1961-1990), dramaturge précoce morte prématurément, Rita, Sue and Bob Too ! s’invite dans une banlieue quelconque du West Yorkshire pour observer les comportements sexuels qui s’arrachent à la morne bétonnisation environnante. Rita (Siobhan Finneran) et Sue (Michelle Holmes), deux lycéennes d’une cité ouvrière délabrée, occupent leur samedi soir en faisant du baby-sitting pour un couple de la classe moyenne installé dans un pavillon voisin. Les reconduisant chez elles en voiture, Bob (George Costigan), le mari, n’a pas à pousser trop loin la chansonnette pour une partie de jambes en l’air sur siège rétractable. Elles, travaillées par leurs hormones, et lui, frustré par une conjugalité en berne, ne se lâcheront plus. S’engage alors un drôle de manège à trois où chacun, avec perte et fracas, essaye de tirer sa part de plaisir.
Vulgarité exutoire
Coutumier des films pessimistes et sans concession, Alan Clarke se prête pour une fois à la comédie avec la violence qui lui est propre – une comédie de la « baise », avec toute la charge de vulgarité exutoire que recouvre le terme. La part comique du film repose, en grande partie, sur l’interprétation outrée des acteurs, par opposition au décor réaliste dans lequel ils sont plongés. Cela passe d’abord par la démarche, dans un film obsédé par les déplacements de ses personnages – titubations d’un alcoolique, talons hauts ployant sur le bitume de petites pimbêches mal attifées, postures chaloupées d’un séducteur à deux sous –, autant que par une expressivité comme grossie à la loupe.
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