- Sur TF1, Bruno Retailleau a apporté son soutien au maire de Chessy, en Seine-et-Marne, qui a décidé de démissionner plutôt que de célébrer le mariage d’un étranger en situation irrégulière, comme l’y obligeait la justice.
- « Il faudra changer la loi » en 2027, a déclaré le président des Républicains.
- Ce ne sera pas simple.
Près de 37 ans de mandat de maire achevés par une démission ? Le maire de Chessy (Seine-et-Marne) Olivier Bourjot, obligé par la justice de célébrer le mariage d’un homme étranger sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), a présenté sa démission, de même que ses sept adjoints.
Le procureur de la République, la seule autorité pouvant interdire une union, a rappelé le maire de Chessy à ses obligations. « J’ai considéré que ça ne permettait pas de m’opposer au mariage, mais autoriser ce mariage ne veut pas dire légitimer la présence de cette personne sur le territoire national »
, a affirmé sur LCI ce mercredi 17 décembre Jean-Baptiste Bladier, procureur de la République de Meaux. La préfecture de Seine-et-Marne a toutefois refusé la « demande de démission »
du maire de Chessy « ainsi que celles de ses adjoints »
, a-t-elle indiqué ce mercredi à l’AFP.
La législation ne permet pas à un maire de s’opposer au mariage de deux personnes, même si l’une d’entre elles, ou les deux, sont en situation irrégulière. « Selon le Code civil, le maire doit vérifier un certain nombre de conditions légales, comme l’âge de la personne. La mission du maire s’arrête là, il n’a pas à aller plus loin »
, précise sur LCI Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Bobigny spécialisé dans le droit des étrangers. « S’il a des suspicions concernant un mariage, il doit saisir le procureur de la République qui vérifiera si les personnes ont vraiment envie de s’épouser. »
Dans le cas présent, le parquet de Meaux avait reçu un signalement de la ville de Chessy en mai 2025 sur le projet de mariage entre une ressortissante européenne et un étranger qui avait eu l’obligation de quitter le territoire français. Les investigations n’ont « pas permis de démontrer l’intention frauduleuse des membres du couple – ces derniers livrant au contraire plusieurs preuves sur la nature personnelle et amoureuse de leurs relations »
, et une décision de « non-opposition »
a été rendue le 7 juillet dernier, a relaté mardi le procureur de la République de Meaux.
Invité de « Bonjour ! La Matinale TF1 », ce mercredi, Bruno Retailleau a évoqué cette affaire. Selon le président des Républicains, Olivier Bourjot « a raison »
. Le sénateur LR dénonce une « loi que plus personne ne comprend »
. « Aujourd’hui, je connais les contraintes constitutionnelles. (Mais) en 2027, il faudra changer cette loi-là »
, affirme l’ex-ministre de l’Intérieur. Plus généralement, il faudra « modifier la Constitution française pour rendre au peuple le pouvoir de choisir »
, indique Bruno Retailleau.
Une proposition de loi adoptée par le Sénat
Alors ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, ainsi que son collègue ministre de la Justice Gérald Darmanin, avait soutenu en début d’année une proposition de loi (nouvelle fenêtre) du sénateur centriste de la Somme Stéphane Demilly. Cette proposition de loi, visant à interdire le mariage aux couples dont l’un des époux est en situation irrégulière et à donner de nouveaux outils aux maires pour lutter contre les mariages arrangés, avait été adoptée en première lecture au Sénat (nouvelle fenêtre), en février 2025. Hasard du calendrier, ce vote est intervenu deux jours après la convocation devant le procureur de Montpellier du maire de Béziers (Hérault), Robert Ménard, poursuivi pour avoir refusé de célébrer un mariage (nouvelle fenêtre) entre une Française et un Algérien en situation irrégulière, en juillet 2023.
Le texte avait également été adopté en commission des lois à l’Assemblée nationale le 16 juin dernier. Il avait été inscrit à l’agenda de la journée réservée (la « niche parlementaire ») du groupe Union des Droites (UDR) d’Éric Ciotti le 26 juin dans l’hémicycle, où il n’avait en revanche pas été adopté faute de temps nécessaire pour que les débats puissent aller à leur terme. Cette proposition de loi est donc à ce stade en suspens.
Lors des débats, des députés et sénateurs avaient mis en garde contre le risque d’inconstitutionnalité. « Si la proposition de loi centriste était adoptée, elle serait censurée par le Conseil constitutionnel »
, indiquait le 18 février à La Croix
(nouvelle fenêtre)
Serge Slama, professeur de droit public, membre du centre de recherches juridiques de l’université Grenoble Alpes et chercheur affilié à l’Institut Convergences Migrations.
La jurisprudence constante du Conseil constitutionnel
Comme le rappelle le cabinet d’avocats LexCase (nouvelle fenêtre), depuis l’article 9 de la loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d’entrée/séjour des étrangers, une personne en situation irrégulière peut se marier en France : aucune condition de régularité de séjour ne peut être exigée pour se marier. Le droit de se marier est un droit fondamental, reconnu et protégé par les articles 144 et suivants du Code civil et par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Par ailleurs, toute restriction au droit de se marier, notamment en raison de l’origine des futurs époux, est interdite en application des articles 12 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. En outre, comme le précise LexCase, deux étrangers en situation irrégulière peuvent aussi se marier entre eux.
La liberté du mariage n’est en revanche pas formellement inscrite dans la Constitution française. Le Conseil constitutionnel la reconnaît toutefois comme une composante de la liberté personnelle, c’est-à-dire de la liberté au sens le plus général protégée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante : les Sages s’opposent à ce qu’un maire refuse de marier un étranger au motif que celui-ci est en situation irrégulière. La liberté du mariage, juge-t-il, « est une composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789
» et « son respect s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé »
, selon la décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 (nouvelle fenêtre). La décision n°2003-484 DC du 20 novembre 2003 (nouvelle fenêtre) a confirmé cette jurisprudence.
Un changement de Constitution ?
« La régularité ou l’irrégularité de la situation n’est pas un obstacle au mariage. Le droit au mariage est reconnu par les conventions internationales et le Conseil constitutionnel »
, résume sur LCI Bertrand Périer, avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation. La jurisprudence des Sages interroge tout de même des spécialistes, comme l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel Jean-Éric Schoettl. « Les difficultés résultant de l’interprétation subjective – et donc perméable à l’idéologie – de textes de nature philosophique et non originellement conçus pour être opposables au législateur devant un juge, tels la Déclaration de 1789, sont très sérieuses »
, estime-t-il dans une tribune au Figaro
(nouvelle fenêtre).
En l’absence d’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, pour interdire le mariage avec une personne en situation irrégulière, la solution semble donc passer par une modification de la Constitution. La procédure de révision de la Constitution prévue par son article 89 suppose l’accord du président de la République et du gouvernement, l’accord de chacune des deux chambres et, selon le cas, l’accord des citoyens (par référendum (nouvelle fenêtre)) ou celui du Congrès (deux chambres réunies se prononçant à la majorité des 3/5e des suffrages exprimés), rappelle le Conseil constitutionnel sur son site (nouvelle fenêtre). C’est au président de la République de choisir la voie (référendum ou Congrès), précisent les Sages.
« Un référendum constitutionnel serait la forme la plus naturelle que pourrait prendre la résistance du peuple au ‘gouvernement des juges' »
, estime Jean-Éric Schoettl. D’autres mettent en garde contre ces tentations. Modifier la Constitution pour permettre l’adoption d’une loi s’attaquant à une « liberté fondamentale »
serait tout simplement « inimaginable »
et même « absurde »
, avertit Serge Slama.












