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Il était un roi de juillet sans couronne, mais un personnage aussi central que truculent du cyclisme français : Raphaël Géminiani est mort à l’âge de 99 ans, a révélé L’Equipe, vendredi 5 juillet. Le maire de Clermont-Ferrand Olivier Bianchi lui a rendu hommage, écrivant sur X que Raphaël Géminiani « avait en lui tous les talents d’un Auvergnat : excellent grimpeur, attaquant tenace, ami fidèle et bon vivant. Il emporte avec lui une part de l’Auvergne. » L’Auvergnat, né le 12 juin 1925, à Clermont-Ferrand, éteint derrière lui la lumière sur une époque, celle d’un sport alors au firmament de sa popularité dans un pays comblé de champions à la sortie de la seconde guerre mondiale (Jean Robic, René Vietto, Louison Bobet, Jacques Anquetil, Raymond Poulidor). Comme Gino Bartali, Fausto Coppi, Charly Gaul ou Federico Bahamontes, tous ont connu, combattu, aimé, pactisé ou parfois trahi ce grimpeur au verbe tranchant comme ses attaques.
De tous, Raphaël Géminiani était le meilleur conteur, le genre à parfois rhabiller la vérité en légende. « J’ai fait les comptes, tous ceux du Tour 1947 sont morts, de 1948 aussi, tous mes équipiers, je suis le dernier… », confiait-il à L’Equipe en mars 2020 depuis sa maison de retraite, à Pérignat-sur-Allier (Puy-de-Dôme). Là, il disait vrai. Il était bien le dernier témoin d’une époque révolue.
Sa « petite mort » de sportif, Raphaël Géminiani l’a souvent racontée avec ce même sens du récit et de l’enluminure. Critérium du Dauphiné 1960, « le Grand Fusil » tire une dernière cartouche au pied d’un « beau cerisier », à 35 ans. Pieds à terre et lèvres rougies, l’Auvergnat croque dans le fruit de saison en regardant passer les attardés avant d’être ramené à l’hôtel dans la bétaillère d’un paysan. Point final d’une carrière commencée pendant la guerre pour celui qui travaillait dans l’atelier de cycle de son père, ancien cycliste parti en échappée du côté de Clermont-Ferrand loin de l’Italie fasciste.
Un palmarès respectable
De son premier amour pour le rugby, Raphaël Géminiani garde le goût pour la castagne. L’homme déteste les tièdes et les planqués. « Le Grand Fusil », c’est Louison Bobet qui lui donne ce surnom de chasseur à force de le voir canarder sur le Tour 1955. Géminiani sert surtout de sherpa au Breton en montagne lors de ses trois victoires sur la Grande Boucle. Equipier de luxe, il défend aussi ses intérêts et bâtit un palmarès respectable : sept victoires d’étape sur le Tour, une deuxième place en 1951, meilleur grimpeur du Giro en 1952, champion de France l’année suivante.
Géminiani travaille à son compte sur le Tour 1958. Le directeur de l’équipe de France, Marcel Bidot, le décrète indésirable pour satisfaire son jeune leader, un certain Jacques Anquetil. Piqué au vif, il croit tenir sa revanche au sein de la formation régionale Centre-Midi. Maillot jaune au matin de la 21e étape, « Gem » voit le ciel lui tomber sur la tête lors de la traversée du massif de la Chartreuse, vaincu par un Charly Gaul, archange luxembourgeois de la pluie, et par la tactique d’une équipe de France décidée à couler le « régional ». Il fulmine sur son vélo contre l’évidence et les minutes déjà perdues : « Ils ne me prendront pas mon Tour. Je les aurai quand même, ces traîtres, ces Judas. »
Ses ambitions crucifiées, Géminiani a la troisième place amère à Paris. Son heure est passée. Le Tour n’a pas voulu de lui, comme il s’est joué de René Vietto ou de Raymond Poulidor, ces autres coureurs populaires et cocus de juillet. L’épisode tragique du Tour de Haute-Volta en décembre 1959 accélère sa fin de carrière. Comme Fausto Coppi, l’ami et l’idole, il y contracte la malaria. A Paris, il sombre dans le coma, reçoit l’extrême-onction, mais survit grâce à un traitement de cheval à base de quinine. Moins bien soigné, Coppi n’a pas cette chance. A son réveil, « Gem » apprend la nouvelle dans l’édition de L’Equipe posée sur son lit où il se souvient de « la foule au cimetière de Castellania, les visages atterrés de Bobet, d’Anquetil ».
Humeurs et circonstances
Autrefois rival, ce même Anquetil devient son protégé par la suite. Raphaël Géminiani monte dans la voiture de directeur sportif depuis laquelle il conseille, encourage ou hurle sur le Normand, selon les humeurs et les circonstances. Sur le Tour 1964, un Anquetil encore ballonné par le méchoui de la veille (savouré avec son patron) manque de baisser pavillon au sommet du port d’Envalira. « Si tu veux mourir sur le vélo, alors meurs devant, mais pas derrière », le secoue Géminiani. Une descente à tombeau ouvert plus tard, Anquetil renverse la course et vole vers sa cinquième victoire sur l’épreuve, la troisième avec l’Auvergnat à ses côtés.
Rangé des voitures en 1986, Raphaël Géminiani arpente par la suite les repas en marge des courses. Consultant ou simple suiveur, peu importe son titre, il tient en haleine ces grandes tablées où journalistes, vieilles gloires et invités d’un soir n’en finissaient plus de refaire la même étape. La sienne a été la plus longue du cyclisme français et pas la moins passionnante.
Raphaël Géminiani en quelques dates
12 juin 1925 Naissance à Clermont-Ferrand
1951 Deuxième du Tour de France
1953 Champion de France
1958 Troisième du Tour de France
1962 Devient directeur sportif
Juillet 2024 Mort à 99 ans