« C’est du jamais vu d’avoir un conseiller ministériel non-fonctionnaire poursuivi pour “pantouflage”. On est quasiment sur de la mobilité privé-privé !, s’exclame l’avocat Rémi Lorrain. Je ne comprends pas en quoi cela relève du pénal ! » Quelques jours après la dissolution de l’Assemblée nationale et alors qu’une valse ministérielle pourrait se profiler, un débat inédit autour de la notion de « prise illégale d’intérêts » d’un conseiller ministériel contractuel parti dans le privé a eu lieu, jeudi 13 juin, au tribunal correctionnel de Paris.
Son client, Pierre-Yves Burlot – trentenaire à la figure de gendre idéal – ne semble pas non plus comprendre ce qu’il fait là. « On a l’impression qu’avec vous, c’est “Circulez, y a rien à voir” », déplore la présidente de la 32e chambre, Bénédicte de Perthuis, au terme de plusieurs minutes de questions sur les risques déontologiques et pénaux découlant de son départ dans le privé. « Exactement », répond, candide, M. Burlot.
Le conseiller est renvoyé devant le tribunal à la suite d’une enquête préliminaire pour « prise illégale d’intérêts » – aussi appelé « délit de pantouflage » – ouverte par le parquet national financier (PNF) en février 2021. A la lecture du Bulletin quotidien, le procureur François-Xavier Dulin apprend que M. Burlot a rejoint le groupe Séché Environnement, une entreprise spécialisée dans le stockage, le traitement et le recyclage des déchets, quelques mois après avoir exercé comme conseiller technique finance verte et économie circulaire au sein du cabinet de la secrétaire d’Etat à la transition écologique et solidaire Brune Poirson.
« En temps réel »
Le procureur s’interroge sur ce qu’a déclaré le trentenaire à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) pour que cette dernière ait accepté sa reconversion. « Aucun [lien avec le groupe Séché], excepté la participation à une rencontre de trente minutes entre le président du groupe (…) et [Brune Poirson], en janvier 2020, afin d’évoquer les raisons du départ du groupe (…) de la fédération professionnelle Federec ». « Des échanges par mail et téléphone ont sans doute précédé ce rendez-vous (…), comme c’est l’usage pour l’ensemble des rendez-vous organisés au niveau “ministre” », avait-il ajouté.
Sa boîte mail raconte pourtant tout autre chose. De nombreux échanges, « presque en temps réel (…), en amont de la préparation du projet de loi [antigaspillage pour une économie circulaire (AGEC)], pendant sa préparation et après, alors que les décrets d’application devaient être préparés », ont lieu entre le conseiller et le directeur commercial de Séché, note Mme de Perthuis. « Je sais que c’est orthogonal avec notre amendement mais y a-t-il des choses dont nous pourrions nous inspirer ? », demande ainsi M. Burlot à l’un de ses collègues, transférant les demandes de Séché. « C’est le rôle d’un conseiller de recevoir les parties prenantes, personne ne dit le contraire, explique la présidente du tribunal. La question, c’est, est-ce que [son action] est compatible avec les fonctions qu’il exercera par la suite. »
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