Dans le bassin arachidier du Sénégal, qui s’étend de Louga (nord) à Kaolack (centre-ouest), lorsque la saison des pluies s’achève, entre la mi-octobre et le début du mois de novembre, la récolte de l’arachide débute. Pour les 27 % de ménages sénégalais qui la cultivent, c’est une période cruciale. S’ensuit la phase de commercialisation, censée démarrer en novembre, juste après la fixation d’un prix plancher par l’Etat. Mais cette année, tout, dans ce processus, a pris du retard.
Fin octobre, le gouvernement a décidé de suspendre, à compter du 15 novembre, les exportations de graines d’arachide pour la campagne 2024-2025, dans l’objectif « d’éviter que les exportations ne concurrencent la commercialisation locale », selon le ministère de l’agriculture. Une mesure qui inquiète les paysans. « Le débat est partout sous les arbres à palabres », expose Babacar Ndiaye, cultivateur de plusieurs hectares d’arachide et de mil dans la localité de Djilor, dans le Sine Saloum.
Pour beaucoup de producteurs, les exportations sont la seule source de rémunération. D’abord parce que les huiliers locaux, dont la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal (Sonacos), n’ont pas les capacités de collecter toute la production d’arachide et de la transformer. Sur 1,7 million de tonnes d’arachides produites chaque année, la Sonacos et ses trois concurrentes privées ne peuvent en absorber qu’un maximum de 500 000 tonnes.
Aussi, le kilo de cacahouète est largement mieux rémunéré à l’export que sur le marché local. Pour la saison 2023-2024, le prix au kilo avait été fixé à 280 francs CFA (0,42 euro). « Là où les importateurs proposaient des prix entre 300 et 500 francs le kilo », indique Babacar Ndiaye. Depuis un accord conclu avec Dakar en 2014, la Chine est de loin le premier d’entre eux, devant l’Inde, avec près de 300 000 tonnes d’arachides sénégalaises importées en 2023.
« Le secteur manque cruellement d’organisation »
Un temps lucratif, cet accord chinois s’est finalement retourné contre le marché local. « Nous avons traversé des années où la Sonacos n’arrivait plus à s’approvisionner suffisamment en arachide », raconte Babacar Diallo, assistant technique du réseau des organisations paysannes et pastorales du Sénégal, qui fédère près de 50 000 agriculteurs. A tel point que certaines usines de l’huilier national avaient fini par mettre un terme à une partie de leurs activités.
Depuis les années 2010 et la libéralisation du secteur par le président Abdoulaye Wade (2000-2010), beaucoup de paysans et de collecteurs ont fini par refuser de travailler avec la Sonacos, selon Babacar Diallo. « Leur mode de paiement est très lent, cela peut prendre des semaines, alors qu’avec les exportateurs nous sommes payés dans la minute où le camion est chargé, reprend l’agriculteur Babacar Ndiaye. Ils imposent aussi des charges, dont un abattement lié à l’appréciation de la qualité de l’arachide. Mais beaucoup de paysans dénoncent une mesure subjective et des abattements abusifs. »
Il n’empêche, les importateurs chinois ont fini par être accusés de « concurrence déloyale ». « Le secteur manque cruellement d’organisation, ce qui leur a profité, observe Habib Thiam, président du Collectif des producteurs et exportateurs de graines d’arachide (Copega). Les Chinois sont allés jusqu’à récolter l’arachide directement au champ, avec leurs propres ouvriers chinois et leurs machines à décortiquer, mettant de côté la main-d’œuvre sénégalaise. »
Autre problème de taille pour le Sénégal : la qualité de ses semences d’arachide. « Depuis des années, on exporte nos meilleures semences – dont celles qui sont certifiées et que nous sommes censés garder pour le replantage de l’année suivante –, car les Chinois et les Indiens ont des exigences en matière de qualité », souligne Habib Thiam. Autrement dit, de nombreux paysans sénégalais se retrouvent avec des semences à la qualité nutritionnelle en baisse, les meilleures ayant été vendues à l’étranger il y a des années.
Un prix plancher légèrement relevé
Face à l’inquiétude du monde arachidier et après plusieurs jours de concertation, le ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de l’élevage, Mabouba Diagne, a assoupli ses annonces. « C’est une mesure conservatoire et non définitive, explique-t-il au Monde. Aujourd’hui, nous disons que c’est après avoir sécurisé les tonnes de semences certifiées pour l’année suivante et l’approvisionnement des huiliers sénégalais que l’arachide pourra être exportée. »
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Sous l’impulsion de son nouveau directeur général, Elhadji Ndane Diagne, nommé en mai, les usines de la Sonacos de Dakar, Ziguinchor, Diourbel et Louga ont repris du service ces dernières semaines. « On ne laissera aucun agriculteur avec des graines invendues, même si cela dépasse nos capacités industrielles », promet-il. Mardi 26 novembre, le prix plancher de l’arachide pour la saison 2024-2025 a finalement été dévoilé par les autorités et fixé à 305 francs CFA, soit une augmentation de 25 francs par rapport à 2023.
« Au vu de la fermeture des frontières et des inondations qui ont touché de nombreuses cultures, ce prix est une déception, ce n’est pas suffisant », explique Babacar Ndiaye. Et de prévenir : « Si l’Etat ne redouble pas d’effort, il risque de ne pas y avoir de semences cette année », ajoutant que de nombreux producteurs sont prêts à bloquer leurs ventes s’ils n’obtiennent pas satisfaction.